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celui de la Terre et celui de Bacchus aux Étangs : c’esl en l’honneur de ce dieu que l’on célèbre les anciennes bacchanales le dixième jour du mois anthestérion[1], usage que conservent encore les peuples de l’Ionie, qui descendent des Athéniens. On voit aussi d’autres temples anciens dans ce même quartier. On peut ajouter à cette preuve la fontaine que, depuis les travaux qu’y ont faits les tyrans, on appelle les neuf canaux, mais qu’anciennement, quand la source était à découvert, on nommait Callirrhoë : comme elle était voisine de l’Acropole, on s’en servait aux usages les plus nécessaires, et maintenant il reste encore de l’antiquité la coutume de s’en servir avant les cérémonies des mariages et à d’autres usages religieux. C’est parce que les habitations étaient autrefois renfermées dans l’Acropole, que les Athéniens ont conservé jusqu’à nos jours l’habitude de l’appeler la ville.

XVI. Ainsi donc autrefois les Athéniens vécurent long-temps à la campagne dans l’indépendance, et depuis qu’ils furent attachés à une seule ville, ils conservèrent leurs vieilles habitudes. Les anciens et ceux qui leur succédèrent jusqu’à la guerre présente naquirent généralement et vécurent en familles dans leurs champs : ils ne changeaient pas volontiers de demeure, surtout après la guerre médique, parce qu’ils étaient peu éloignés de l’époque où ils avaient repris leurs établissemens. Ce fut avec peiue, et même avec un sentiment de douleur, qu’ils abandonnèrent leurs maisons et leurs temples : d’après leur ancienne manière de vivre, ils les regardaient comme un héritage paternel, et près d’adopter un nouveau genre de vie, ce n’était rien moins que leur patrie qu’ils croyaient abandonner.

XVII. Ils vinrent à la ville : mais fort peu d’entre eux y avaient des logemens, ou purent en trouver chez des parens ou des amis. La plupart s’établirent dans les endroits vagues, tels que les temples, les monumens des héros ; par tout enfin, excepté dans la citadelle, l’Eleusinium, ou quelques autres lieux exactement fermés. Ils s’emparèrent même de ce qu’on appelle le Pélasgicon[2], au-dessous de l’Acropole. Il avait été défendu avec imprécation de l’occuper, et cette défense était contenue dans ces derniers mots d’un oracle de Delphes : « Il vaut mieux que le Pélasgicon reste vide. » Cependant la nécessité força de l’habiter. Je crois que l’oracle fut accompli tout autrement qu’on ne s’y était attendu : car il ne faut pas croire que les malheurs d’Athènes vinrent de ce qu’où avait profané cet endroit en l’occupant ; mais ce fut le malheur de la guerre qui contraignit à l’occuper. C’est là ce que l’oracle n’exprima pas ; mais le dieu avait prévu qu’un fâcheux événement ferait un jour habiter ce lieu. Bien des gens s’emménagèrent aussi dans les tours des murailles, et chacun enfin comme il put ; car la ville ne pouvait contenir tant de monde qui venait s’y réfugier : on finit par se partager les longues murailles, et par s’y loger, ainsi que dans la plus grande partie du Pirée. En même temps on travaillait aux préparatifs de la guerre, on rassemblait des alliés, on appareillait cent vaisseaux pour le Péloponnèse. Telles étaient alors les occupations des Athéniens.

XVIII. Les Péloponnésiens s’avançaient. Ils entrèrent dans le dème[3] de l’Attique que l’on nomme Olînoé ; c’était de là qu’ils devaient faire leurs incursions. Quand ils eurent assis leur camp à la vue de ce fort, ils se disposèrent à en former le siège avec des machines de guerre et tous les autres moyens qu’ils pourraient employer. Comme Œnoé se trouvait sur la frontière de l’Attique, il était muré, et les Athéniens s’en servaient comme d’une citadelle en temps de guerre. Les Lacédémoniens préparèrent leurs attaques, et perdirent en vain du temps autour de la place ; ce qui ne contribua pas faiblement aux reproches que reçut Archidamus. Il semblait avoir annoncé de la mollesse au moment où l’on s’était rassemble pour délibérer sur la guerre ; et, en ne conseillant pas avec chaleur de l’entreprendre, il avait paru favoriser les Athéniens. Depuis le rassemblement des troupes, le séjour qu’il avait fait dans

  1. Le mois anthestérion répondait au mois pluviôse du calendrier républicain des français, c’est-à-dire aux mois de janvier et février.
  2. Pélasgicon était l’endroit où s’étaient anciennement établis les Pélasges pendant la guerre qu’ils avaient faite contre Athènes. Ils furent chassés et les Athéniens défendirent d’habiter désormais ce lieu.
  3. L’Attique était partagée en dix phylés ou tribus, qui étaient elles-mêmes subdivisées eu un plus ou moins grand nombre de dèmes.