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ralement favorables aux Lacédémoniens, surtout parce qu’ils avaient annoncé qu’ils voulaient délivrer la Grèce. C’était une émulation entre les particuliers et les villes à qui embrasserait leur parti, en paroles du moins, si ce n’était par des actions ; chacun croyait que les affaires souffriraient quelque chose s’il ne s’en mêlait pas : tant l’indignation contre les Athéniens était générale, les uns voulant secouer leur joug, les autres craignant d’y être soumis. Ce fut avec de telles dispositions et dans un tel esprit qu’on se précipita dans la guerre.

IX. Voici les alliés qu’eurent les deux partis en la commençant. Ceux des Lacédémoniens étaient tous les peuples du Péloponnèse qui habitent au-delà de l’isthme, excepté les Argiens et les Achéens, qui avaient des liaisons avec l’un et l’autre parti. Les habitans de Pellène furent d’abord les seuls de l’Achaïe qui portèrent les armes pour Lacédémone ; tous les autres se déclarèrent ensuite. En deçà du Péloponnèse, ils avaient les Mégariens, les Locriens, les Bœotiens, les Phocéens, les Ampraciotes, les Leucadiens, les Anactoricns. Ceux qui fournirent des vaisseaux furent les Corinthiens, les Mé gariens, lesSicyoniens, les habitans de Pellène, d’Élée, d’Ampracie et de Leucade ; les Bœotiens, les Phocéens, les Locriens donnèrent de la cavalerie ; les autres villes de l’infanterie. Tels étaient les alliés de Lacédémone.

Ceux d’Athènes étaient les peuples de Chio, de Lesbos, de Platée, les Messéniens de Naupacte, la plus grande partie des Acarnanes, les Corcyréens, les Zacynthiens, sans compter les villes qui leur paient tribut dans un si grand nombre de nations ; la Carie, qui s’étend le long des côtes de la mer, les Doriens, voisins de la Carie, l’Hellespont, les villes de Thrace, toutes les villes situées au levant, entre le Péloponnèse et l’Ile de Crète, toutes les Cyclades, excepté Mélos et Thères. Ceux de Chio, de Lesbos, de Corcyre, fournissaient des navires, les autres de l’infanterie et de l’argent. Telles étaient les alliances, et tel l’appareil guerrier des deux partis.

X. Les Lacédémoniens, après ce qui s’était passé à Platée, firent annoncer aussitôt aux villes alliées, tant de l’intérieur du Péloponnèse que du dehors, de préparer leurs forces, et de se munir de tout ce qui était nécessaire pour une expédition, parce qu’on allait se jeter sur l’Attique. Lorsque tout fut prêt au terme marqué, les deux tiers des troupes se rendirent sur l’isthme[1], et l’armée entière se trouvant rassemblée, Archidamus, roi de Lacédémone, qui commandait cette expédition, appela les généraux des villes, les hommes revêtus des premières dignités, toutes les personnes de quelque considération, et parla ainsi :

XI. « Péloponnésiens et alliés, nos pères aussi ont eu bien des guerres à soutenir, tant dans le Péloponnèse qu’au dehors ; et les plus âgés d’entre nous ne manquent pas d’expérience des combats : jamais cependant nous ne sommes sortis avec un plus grand appareil, mais c’est contre une république très puissante que nous marchons en grand nombre nous-mêmes, et brillans de courage. Ne nous montrons pas moins grands que nos pères, et ne dégénérons pas de notre propre gloire. Toute la Grèce est en suspens sur notre expédition ; toutes les pensées se fixent sur nous, mais avec bienveillance, et, par haine pour les Athéniens, on fait des vœux pour nos succès. Mais quoiqu’on puisse trouver que nous sommes en force, et regarder comme une chose bien assurée que l’ennemi n’osera venir se mesurer avec nous, il n’en faut pas marcher avec moins de prudence et de précaution. Général et soldat de chaque ville, chacun doit se croire toujours au moment de tomber dans quelque danger. Les événemens de la guerre sont incertains : souvent une action naît de peu de chose ; un emportement la produit. Souvent le plus faible, par un sentiment de crainte, combat avec avantage contre une armée supérieure, qui, par mépris, ne se tenait pas préparée. Il faut donc, en pays ennemi, avoir dans la pensée de combattre avec courage ; mais en effet se tenir prêt au combat avec un sentiment de crainte. C’est ainsi qu’on s’avance à l’ennemi avec plus de valeur, et qu’on soutient l’action avec moinsde danger. « Ce n’est point contre une république incapable de se défendre que nous marchons : elle est abondamment pourvue de tout. Ses citoyens ne se montrent point en campagne, parce que nous ne sommes pas encore sur leur territoire ; mais soyez certains qu’ils viendront nous com-

  1. Les deux tiers des troupes entraient en campagne ; un tiers restait pour la garde des villes. (Scoliaste.)