« Ils nous commandent de lever le siège de Potidée, de laisser Égine sous ses propres lois, de révoquer le décret porté contre Mégare ; et voilà maintenant que leurs derniers députés nous imposent la loi de laisser à tous les Grecs la jouissance de leurs droits. N’imaginez pas que refuser d’abolir le décret sur les Mégariens, ce soit faire la guerre pour bien peu de chose, parce qu’ils soutiennent que, le décret supprimé, on n’aurait point la guerre. Éloignez toute idée sur quoi vous puissiez vous faire le reproche d’avoir pris les armes pour un faible sujet ; car c’est à ce sujet si faible que tient l’affermissement de votre puissance et l’épreuve de votre courage. Accordez-leur ce peu qu’ils vous demandent, et vous verrez aussitôt, comme si c’était la crainte qui vous eût fait obéir, arriver l’ordre d’accorder quelque chose de plus. Mais en refusant avec fermeté, vous leur ferez voir nettement qu’il faut en agir avec vous comme avec des égaux.
CXLI. « D’après ce que je viens de dire, prenez le parti de vous soumettre, avant d’avoir été maltraités ; ou si nous faisons la guerre, ce qui, je crois, vaut le mieux, de ne céder à aucune condition, ni douce, ni rigoureuse, et de ne pas nous réduire à ne garder qu’avec un sentiment de crainte ce que nous possédons. C’est toujours un esclavage qu’un ordre plus ou moins rigoureux, qu’aucun jugement n’a précédé, et que des égaux intiment à leurs voisins. Daignez réécouter, et vous allez apprendre en détail si, dans les avantages dont les deux partis se peuvent flatter pour soutenir la guerre, nous ne sommes pas les mieux partagés.
Les Péloponnésiens sont des gens de travail ; ils n’ont de richesses ni en particulier ni en commun. Ensuite ils n’ont aucune expérience des guerres longues et maritimes, parce que la misère les oblige de terminer promptement entre eux les hostilités. De telles gens ne peuvent ni équiper des flottes, ni envoyer souvent hors de chez eux des armées de terre ; il faudrait pour cela s’éloigner de leurs propriétés, et prendre les frais de la guerre sur leurs facultés personnelles ; d’ailleurs nous leur interdirons la mer. Les richesses soutiennent mieux la guerre que des contributions forcées, et des hommes de peine sont plutôt prêts à y payer de leurs personnes que de leur argent, car ils ont l’espérance de pouvoir survivre aux dangers ; mais ils ne sont pas sûrs que leur argent ne soit pas dissipé avant la fin de la guerre, et c’est ce qui ne peut manquer d’arriver si, contre leur opinion, mais comme on doit s’y attendre, elle est de longue durée. Car, dans une seule affaire, les Péloponnésiens et leurs alliés sont capables de résister à tous les Grecs ; mais ils ne le sont pas de se soutenir contre une puissance qui ne fait pas la guerre a leur manière.
« Comme ils n’ont point un conseil unique, ils ne peuvent rien faire avec célérité. Ce sont différentes républiques qui toutes également ont droit de suffrage ; et comme elles ne forment pas un seul peuple, chacun pense à ses intérêts. et pour l’ordinaire rien ne se termine. Les uns ont surtout en vue quelque vengeance ; les autres veulent que leurs propriétés n’aient rien à souffrir. Ils se rassemblent tard, jettent vite un coup d’œil sur les intérêts communs, et s’occupent bien plus constamment de leurs affaires personnelles. Aucun ne croit que sa négligence particulière fasse aucun fort au bien général : il pense qu’un autre y pourvoira pour lui ; et tous ayant séparément la même pensée, l’intérêt commun se détruit sans qu’on s’en aperçoive.
CXLII. « Mais la rareté de l’argent est surtout ce qui ne peut manquer de les arrêter. Ce ne sera que lentement qu’ils pourront s’en procurer, et, dans la guerre, les occasions ne permettent pas d’attendre. D’ailleurs ni les forts qu’ils pourront élever sur notre territoire, ni les vaisseaux qu’ils pourront construire ne méritent de nous effrayer. Ce sont des entreprises difficiles, même en temps de paix, et pour une puissance égale en force, que ces fortifications à construire[1]. Que sera-ce donc en pays ennemi, et quand nous leur opposerons des travaux semblables ! S’ils élèvent chez nous quelque forteresse, ils pourront s’en servir pour faire des incursions dans nos campagnes, ravager quelques parties de nos terres, donner asile à nos transfuges ; mais ils n’élèveront pas une muraille capable de nous investir, de nous empêcher d’aller par mer dans leur pays, de nous défendre sur
- ↑ Je crois que l’orateur a ici en vue les murailles que les Athéniens, en pleine paix, construisirent malgré l’opposition des Lacédémoniens, et qui leur donnèrent beaucoup d’inquiétudes jusqu’à ce qu’elles fussent achevées.