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s’emparer de la mer, et aussitôt il leur en prépara l’empire. Ce fut d’après son plan qu’on donna au mur l’épaisseur qui se voit encore aujourd’hui autour du Pirée. Deux charrettes qui se rencontraient apportaient des pierres. On n’en remplit pas les joints de chaux et de ciment ; mais on taillait carrément de grandes pierres, on les appareillait, et on les liait entre elles avec des barres de fer consolidées par du plomb. Ces murs eurent tout au plus la moitié de la hauteur que Thémistocle avait projetée. Son dessein était que, par leur épaisseur et leur élévation, on n’eût pas à craindre les attaques des ennemis ; qu’il ne fallût que peu d’hommes très débiles pour les défendre, et que les autres montassent sur les vaisseaux, car c’était à la marine surtout qu’il s’attachait : c’est qu’il voyait, du moins à ce que je pense, que l’armée du roi pouvait faire plus aisément des invasions par mer que par terre, et il regardait le Pirée comme plus important que la ville haute[1]. Il conseilla bien des fois aux Athéniens, s’il leur arrivait d’être forcés par terre, de descendre au Pirée, et de se défendre sur leur flotte contre tous ceux qui pourraient les attaquer. Ce fut ainsi que les Athéniens se fortifièrent, et rétablirent leur ville aussitôt après la retraite des Mèdes.

XCIV. Cependant Pausanias, fils de Cléombrote, fut envoyé de Lacédémone, en qualité de général des Grecs, avec vingt vaisseaux que fournit le Péloponnèse ; les Athéniens se joignirent à cette flotte avec trente vaisseaux : un grand nombre d’alliés suivit leur exemple. Ils se portèrent à Cypre, et en soumirent une grande partie : de là, toujours sous le même commandement, ils passèrent à Bysance, qu’occupaient les Mèdes, et s’en rendirent maîtres.

XCV. Mais Pausanias commençait à montrer de la dureté ; il se rendit odieux aux Grecs en général, mais surtout aux Ioniens et à tous ceux qui s’étaient soustraits récemment à la puissance du roi. Ils allèrent trouver les Athéniens, et les prièrent de les recevoir sous leur commandement comme étant de même origine, et de ne pas céder à Pausanias s’il voulait en venir à la violence. Les Athéniens reçurent cette proposition ; ils leur promirent de ne les point abandonner, et de tenir d’ailleurs la conduite qui semblerait s’accorder le mieux avec les intérêts des alliés.

Dans ces conjonctures, les Lacédémoniens rappelèrent Pausanias pour le juger sur les dénonciations portées contre lui. Les Grecs qui venaient à Lacédémone se plaignaient beaucoup de ses injustices, et son commandement semblait tenir plutôt du pouvoir tyrannique que du généralat. Il fut rappelé précisément à l’époque où, par la haine qu’il inspirait, les Grecs, excepté les guerriers du Péloponnèse, se rangeaient sous les ordres des Athéniens. Arrivé à Lacédémone, et convaincu d’abus de pouvoir contre des particuliers, il fut absous des accusations capitales. On lui reprochait surtout du penchant pour les Mèdes, et cette accusation semblait manifeste. Aussi le commandement ne lui fut-il pas rendu, mais on fit partir Dorcis et quelques autres avec peu de troupes. Comme les alliés ne se mirent pas sous leur autorité, ils revinrent, et les Lacédémoniens n’envoyèrent plus dans la suite d’autres généraux. Après ce qu’ils avaient vu de Pausanias, ils craignaient qu’ils ne se corrompissent de même. D’ailleurs ils voulaient se débarrasser de la guerre des Mèdes ; ils croyaient les Athéniens capables de la conduire, et alors ils étaient amis.

XCVI. Les Athéniens ayant pris ainsi le commandement, suivant le désir des alliés, par la haine qu’on portait à Pausanias, réglèrent quelles villes devaient donner de l’argent pour faire la guerre aux Barbares, et quelles devaient fournir des vaisseaux. Le prétexte était de ruiner le pays du roi, par représailles de ce qu’on avait souffert. Alors fut établie chez les Athéniens la magistrature des hellénotames, qui recevaient le tribut[2]. Le premier tribut fut fixé à quatre cent soixante talens[3], le trésor fut déposé à

  1. La citadelle était la ville haute : elle est souvent nommée Acropolis (ville haute), et quelquefois simplement polis (ville). Cela n’était pas particulier à Athènes.
  2. Il y a dans le texte qui recevaient le phoros ; ce fut ainsi qu’on nomma la contribution en argent. Le savant Barthélémy, dans sa Dissertation sur une ancienne inscription grecque, relative aux finances d’Athènes, a fait passer dans notre langue le mot grec hellénotames. Il appelle aussi quelquefois ces magistrats trésoriers de l’extraordinaire, parce que, dit-il, les sommes qu’ils étaient chargés de percevoir n’avaient rien de commun avec les taxes ordinaires que payaient les habitans de l’Attique. Le corps des hellénotames était composé de dix officiers, un de chaque tribu.
  3. Le talent valait 5,400 livres de notre monnaie. Les 400 talens faisaient 2,484,000 livres.