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depuis ; et lié avec les Mysiens, ne ravageais-tu pas mon gouvernement, autant que tu le pouvais ? – Il est vrai. — Lorsque tu eus reconnu ton impuissance, ne vins-tu pas à l’autel de Diane m’assurer de ton repentir ? après m’avoir touché par tes discours, ne me donnas-tu pas ta foi, et ne reçus-tu pas la mienne ? Orontas en convint. Quelle injure t’ai-je donc faite, continua Cyrus, pour que tu m’aies tendu une troisième fois des embûches, comme tu en es convaincu ? Aucune, répondit Orontas. — Tu avoues donc que tu es injuste envers moi ? – Il le faut bien. – Mais pourrais-tu, devenant l’ennemi de mon frère, me rester désormais fidèle ? – J’aurais beau l’être, tu ne le croirais jamais. »

Cyrus, s’adressant alors à ceux qui étaient présens : « Vous savez, leur dit-il, ce qu’il a fait, vous entendez ce qu’il dit : parle le premier, Cléarque, et donne ton avis. – Mon avis, dit Cléarque, est de nous défaire au plus tôt de lui, afin que nous n’ayons plus à nous tenir en garde contre cet homme, et que, délivrés de ce soin, nous nous occupions à faire du bien à ceux qui veulent être de nos amis. » Cléarque ajoutait que les autres s’étaient rangés à son opinion. Ensuite, par l’ordre de Cyrus, tous les assistans, et les parens même d’Orontas, se levèrent et le prirent par la ceinture, ce qui désignait qu’il était condamné à mort. Il fut ensuite emmené par ceux qui en avaient l’ordre. En le voyant passer, ceux qui avaient coutume de se prosterner devant lui le firent encore, quoiqu’ils sussent qu’il allait au supplice.

On le conduisit dans la tente d’Artapate, le plus fidèle des gardes de Cyrus ; et personne depuis ne le revit, ni ne fut en état d’affirmer de quel genre de mort il avait péri : chacun fit ses conjectures. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il ne parut en aucun endroit de vestiges et de sépulture.


CHAPITRE VII.

De la on fit en trois marches douze parasanges en Babylonie. À la troisième marche, vers le milieu de la nuit. Cyrus fit dans la plaine la revue des Grecs et des Barbares. Il présumait que le lendemain, au lever du soleil, le roi viendrait avec son armée lui présenter bataille. Il chargea Cléarque de commander l’aile droite des Grecs ; Ménon eut la gauche : pour lui, il rangea en bataille ses troupes nationales. Le lendemain, dès la pointe du jour, des transfuges apportèrent à Cyrus des nouvelles de l’armée du roi. Ce prince, ayant convoqué les généraux et les lochages grecs, délibéra avec eux sur la manière de livrer bataille, et les encouragea par ces paroles pleines de persuasion :

« Grecs, si je vous prends à mon service, ce n’est pas que je manque de Barbares ; mais je vous ai crus supérieurs à la plupart d’entre eux, et voilà pourquoi je vous ai associés à mon entreprise. Montrez-vous donc dignes de la liberté, de ce bien que je vous trouve si heureux de posséder : car soyez assurés que je la préférerais à toutes mes richesses, et à beaucoup d’autres encore.

« Je dois vous apprendre à quel combat vous marchez. L’armée du roi est nombreuse, et vient en poussant de grands cris : si vous soutenez ce vain appareil, vous verrez, j’en rougis d’avance, quelle sorte d’hommes produit ce pays. Pour vous, comportez-vous en gens de cœur, et je renverrai en Grèce, avec un sort digne d’envie, ceux d’entre vous qui voudront y retourner : mais j’espère faire en sorte qu’un grand nombre préfèrent la fortune que je leur destine, à celle qu’ils ont dans leur pays. »

Gaulitès, banni de Samos, et très attaché à Cyrus, lui parla ainsi : « On prétend, Cyrus, que tu fais beaucoup de promesses aujourd’hui, parce que tu es dans un danger imminent, mais que tu les oublieras après la victoire ; d’autres disent que quand même tu t’en souviendrais et voudrais les remplir, tu ne pourrais jamais donner tout ce que tu promets. »

« L’empire de mes pères, répondit Cyrus, s’étend, vers le midi, jusqu’aux climats qu’une chaleur excessive rend inhabitables ; vers le nord, jusqu’à des pays que le grand froid rend également déserts : le milieu a pour satrapes les amis de mon frère ; vous êtes les miens ; si je remporte la victoire, il faudra que je vous confie ces gouvernemens : j’appréhende donc moins, en cas de succès, de n’avoir pas assez à donner, que de manquer d’amis à qui je puisse donner. De plus, que chacun de vous compte sur une couronne d’or. »

Ceux qui entendirent ce discours en conçurent une nouvelle ardeur : ils racontèrent la chose aux autres Grecs. Aussitôt les généraux,