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il jugeait leur défaite importante, tant pour rassurer son parti que pour décourager l’ennemi : il pensait que l’abaissement d’Athènes serait l’exaltation de Thèbes.

Pendant ce temps, se rendirent à Mantinée tous les Péloponnésiens qui tenaient pour cette ville : d’un autre côté, Épaminondas, instruit que les Athéniens, au lieu de marcher par terre, s’apprêtent à mettre à la voile et à traverser la Laconie pour venir au secours des Arcadiens, sort de Némée, et va camper devant Tégée. Je ne dirai pas que cette expédition lui ait réussi ; mais dans ce qui demandait intrépidité et prévoyance, ce général me semble n’avoir rien laissé à désirer.

Je le loue avant tout d’avoir campé dans l’enceinte de Tégée, où, plus en sûreté que s’il eût été hors des murs, il cachait mieux ses projets à l’ennemi, et se procurait facilement ce qui lui était nécessaire ; tandis que ses adversaires, campés dans la plaine, laissaient apercevoir ou leurs sages manœuvres, ou leurs fautes : quoiqu’il se crût supérieur en forces, lorsqu’il leur croyait l’avantage du lieu, il ne les attaquait pas. Cependant le temps s’écoulait, et aucune ville ne se déclarait en sa faveur ; il crut alors un grand exploit nécessaire, ou c’en était fait de sa gloire passée.

Apprenant donc que les ennemis s’étaient fortifiés dans Mantinée, qu’ils appelaient Agésilas, que ce prince, parti de Lacédémone avec toutes ses forces, était à Pelléne, il ordonne à ses troupes de prendre leur repas, donne l’ordre du départ, et va droit à Sparte. Si, grâces à une divinité protectrice, un Crétois ne fût venu avertir Agésilas de l’approche de l’armée thébaine, Sparte, absolument sans défense, était prise comme un nid d’oiseaux. Mais Agésilas, informé à temps, avait prévenu l’arrivée de l’ennemi ; et les Spartiates, distribués en différens postes, gardaient la ville : ils se trouvaient cependant en fort petit nombre ; car toute leur cavalerie était allée en Arcadie avec les troupes soudoyées, et trois des douze compagnies.

Épaminondas, arrivé près de Sparte, évita d’attaquer par un terrain uni, où les Spartiates, du haut de leurs maisons, l’eussent accablé de traits. il évita aussi les accès trop serrés, où peu de combattans font plus que le grand nombre ; mais après s’être emparé d’un poste avantageux, au lieu de gravir, il s’avança vers la ville par une pente favorable. Ce qui arriva ensuite peut s’appeler un coup du ciel, ou bien on doit dire qu’aucune force ne résiste à des désespérés. Archidamus, à la tête de moins de cent hommes. venait de traverser l’Eurotas : vainqueur d’un grand obstacle, déjà il marchait à l’ennemi. Il paraît avec sa troupe ; le combat s’engage : au premier choc, ces guerriers, qui, pleins de feu, venaient de triompher des Lacédémoniens, ces mêmes hommes, qui avaient absolument l’avantage et du nombre et du lieu, reculent et prennent la fuite ; les premiers rangs de l’armée d’Épaminondas sont taillés en pièces. Les Lacédémoniens, emportés un peu trop loin par l’ardeur de la victoire, perdirent aussi des leurs : il semblait que la divinité avait marqué les bornes de leur triomphe.

Archidamus dressa un trophée où il avait vaincu, et rendit les morts par composition. Épaminondas, prévoyant l’arrivée des Arcadiens, ne voulut pas les avoir sur les bras avec toutes les forces réunies de Lacédémone, qui d’ailleurs étaient triomphantes, lorsque les siennes étaient abattues. Il se retira donc en grande diligence à Tégée : tandis que ses hoplites y reprenaient haleine, il envoya ses cavaliers contre Mantinée ; il leur demandait de la constance, et leur représentait que les Mantinéens tenaient leur bétail hors de la ville, et qu’ils étaient tous occupés à transporter chez eux leurs récoltes.

Ces cavaliers se mettent en marche. Mais la cavalerie athénienne, étant partie d’Éleusis et ayant soupé dans l’isthme, passa à Cléone, et se rendit à Mantinée, dans l’enceinte de laquelle elle campa. Certains de l’approche de l’ennemi, les Mantinéens supplièrent la cavalerie athénienne de les secourir si elle le pouvait : ils dirent que tout leur bétail et leurs ouvriers, que beaucoup d’enfans et de vieillards de condition libre, étaient dans les champs. Les Athéniens, instruits de ce qui se passait, se décident à les secourir, quoiqu’ils n’eussent dîné, ni eux ni leurs chevaux.

Qui dans cette conjoncture n’admirerait pas leur valeur ? Ils voyaient un ennemi bien plus nombreux ; leur cavalerie avait éprouvé un échec à Corinthe ; ils allaient se mesurer contre des Thébains et des Thessaliens, cavaliers très renommés : fermant les yeux à ces considéra-