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« Lacédémoniens, nous venons ici en qualité d’amis ; nous vous prions, s’il est quelque moyen d’éviter notre ruine totale en continuant la guerre, de nous l’indiquer ; si vous nous croyez sans ressource, et que la paix vous soit utile comme à nous, nous vous invitons à la négocier de concert ; car c’est avec vous surtout que nous désirons nous mettre à l’abri de l’orage. Si vous pensez qu’il est de votre intérêt de continuer la guerre, permettez que nous fassions la paix. Échappés au péril, et subsistant toujours, nous pourrons peut-être par la suite vous rendre encore de nouveaux services ; en périssant aujourd’hui, il est évident que nous ne pourrons plus vous servir. »

D’après ce discours, les Lacédémoniens conseillérent aux Corinthiens de faire la paix ; ils laissaient leurs alliés libres de se reposer s’ils ne voulaient pas faire la guerre avec eux : ils disaient qu’ils étaient résolus de la continuer et de s’abandonner à la Providence ; que jamais ils ne se laisseraient enlever Messène, qu’ils tenaient de leurs ancêtres.

Sur cette réponse, les Corinthiens allèrent à Thèbes pour la conclusion de la paix : les Thébains voulaient qu’ils jurassent aussi ligue offensive et défensive. Ceux-ci répondirent qu’une telle ligue n’était pas une paix, mais un passage d’une guerre à une autre ; que s’il leur plaisait, ils préféreraient la paix sous de justes conditions. Les Thébains, pénétrés d’admiration pour un peuple qui, même dans le danger, refusait de se liguer contre des bienfaiteurs, leur accordèrent la paix à eux, aux Phliasiens ét à tous ceux qui les avaient accompagnés à Thèbes, à condition qu’ils observeraient la plus exacte neutralité.

Le traité conclu et ratifié par le serment, les Phliasiens quittèrent aussitôt Thyamie ; mais les Argieus, qui avaient juré la paix aux mêmes conditions, ne pouvant obtenir que les bannis de Phlionte gardassent Tricrane comme leur propre cité, les prirent sous leur protection et mirent garnison dans cette place ; ils se prétendaient propriétaires d’un pays qu’ils ravageaient peu auparavant comme ennemi. Les Phliasiens firent des réclamations : les Argiens n’y eurent aucun égard.

Presque dans le même temps mourut Denys l’ancien : son fils, qui lui succéda, envoya douze trirémes aux Lacédémoniens, sous le commandement de Timocrate. Celui-ci arrive, les aide à reprendre Sellasie, et s’en retourne en Sicile.

Peu de temps après, les Éléens s’emparèrent de Lasione, ville autrefois de leur dépendance, qui appartenait alors à l’Arcadie. Les Arcadiens, ne s’oubliant pas, ordonnent une levée et partent aussitôt. Les Éléens leur opposent quatre cents cavaliers et trois cents fantassins. Ils avaient campé de jour dans une vaste plaine : les Arcadiens gagnérent de nuit le sommet de la montagne qui dominait les Éléens, et descendirent contre eux dès le point du jour. Ceux-ci, à la vue d’un ennemi qui avait l’avantage du nombre et du lieu, et dont ils se trouvaient éloignés, voulurent faire retraite ; mais, retenus par la honte, ils en viennent aux mains et fuient au premier choc. Ils perdirent beaucoup d’hommes et d’armes, en exécutant cette retraite par des lieux difficiles.

Après ces exploits, les Arcadiens marchèrent contre les villes des Acroréens ; et les ayant prises, à la réserve de Thrauste, ils arrivèrent à Olympie. Ils fortifièrent d’une tranchée le temple de Saturne, y mirent garnison, puis s’emparèrent du mont Olympe, et prirent Margane par intelligence. Ces nouveaux revers découragèrent entièrement les Éléens : ceux d’Arcadie pénétrèrent dans leur ville, jusqu’à la place publique ; mais la cavalerie éléenne bien soutenue les repoussa, en tua une partie, et dressa un trophée.

Depuis quelque temps il y avait division dans Élis. Les partisans de Charopus, de Thrasonidas et d’Argius, voulaient la démocratie : l’oligarchie était demandée par la faction Stalcas, Hippias et Stratole ; mais les Arcadiens, qui avaient une grande armée, semblaient incliner pour le parti qui demandait la démocratie ; la faction Charopus enhardie traite donc avec les Arcadiens, et par leur entremise s’empare de la citadelle. A l’instant les cavaliers éléens y montent accompagnés des trois cents, en chassent l’ennemi et bannissent Argus, Charopus, et avec eux quatre cents citoyens environ de la même faction. Peu après, ces bannis aidés de quelques Arcadiens, s’emparèrent de Pylos, où émigrèrent en foule d’autres habitans, partisans de la démocratie, parce qu’ils se voyaient, grâces à la valeur des bannis, en possession d’une belle place et secondés d’un puissant allié.