Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/401

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Voici encore une belle action de la part des Phliasiens. Ils firent prisonnier le Pellénien Proxéne, et le congédièrent sans rançon, quoique réduits à une disette extrême. Comment n’appellerait-on pas vaillans et magnanimes des hommes qui se distinguent par de pareils traits ?

On connaît d’ailleurs leur constante fidélité envers leurs amis. Comme ils ne recueillaient rien de leurs terres, ils vivaient en partie de leurs courses sur l’ennemi, en partie de vivres qu’ils achetaient à Corinthe : c’était à travers les dangers qu’ils y allaient, ne se procurant pas facilement des fonds, trouvant à peine et des hommes qui se chargeassent du transport des provisions, et des cautions pour les bêtes de somme. Dans leur extrême disette, ils obtiennent de Charès qu’il escortera le convoi. (Lorsqu’ils furent de retour à Phlionte, ils le prièrent d’envoyer à Pellène les bouches inutiles, ce qui s’exécuta.)

Après qu’ils eurent fait les acquisitions et chargé les bêtes de somme, ils s’en retournèrent de nuit : ils n’ignoraient pas qu’on leur dresserait une embuscade, mais ils trouvaient plus dur de manquer du nécessaire que de se battre. Les Phliasiens marchaient accompagnés de Charès : l’ennemi s’offre à leur rencontre ; ils s’animent réciproquement ; à grands cris ils appellent Charès ; ils chargent avec tant de fureur qu’ils remportent la victoire, chassent l’ennemi du passage, et rentrent sains et saufs dans Phlionte avec leurs provisions. Comme ils avaient veillé toute la nuit, ils dormirent bien avant dans le jour. Dès que Charès fut levé, les cavaliers et les principaux guerriers l’abordèrent.

« Charès, lui dirent-ils, vous pouvez aujourd’hui faire une belle action. Les Sicyoniens construisent un fort sur nos frontières, avec plus d’ouvriers que de soldats : nous marcherons les premiers avec la cavalerie et l’élite de l’infanterie. S’il vous plaît de nous suivre avec vos troupes soldées, peut-être ne trouverez-vous rien à faire : ainsi qu’à Pellène, vous n’aurez qu’à paraître, et l’ennemi fuira. Si vous entrevoyez des difficultés, consultez les dieux, offrez un sacrifice : nous croyons qu’ils vous porteront à l’entreprise encore plus que nous-mêmes. Au reste, soyez-en persuadé, Charès, si vous réussissez, vous aurez tenu en respect vos adversaires, et sauvé une ville amie : illustré parmi vos compatriotes, votre nom deviendra célèbre chez les ennemis et chez les alliés. »

Charès se laisse persuader, et sacrifie. Les cavaliers phliasiens endossent la cuirasse et brident leurs chevaux ; les hoplites se fournissent de ce qui est nécessaire à une infanterie. Comme ils se rendaient tout équipés au lieu où sacrifiait Charès, ils rencontrèrent ce général et son devin, qui leur annoncèrent que les présages étaient favorables. « Attendez, leur dirent-ils, nous partons avec vous. »

On sonne la marche ; les troupes soldées s’élancent transportées d’une divine ardeur. Charès était devancé par les cavaliers et les fantassins de Phlionte, qui d’abord marchèrent vite, et doublèrent ensuite le pas. Les cavaliers allaient à toute bride ; les fantassins couraient de toutes leurs forces, autant qu’ils le pouvaient sans rompre les rangs ; Charès les suivait en diligence. Le soleil alors approchait de son couchant. On surprend l’ennemi sur les murs ; les uns se lavaient, les autres apprétaient le souper, ceux-ci pétrissaient le pain, ceux-là préparaient leur couche. A la vue de cette irruption soudaine, ils fuient épouvantés, laissant tout cet apprêt à nos braves, qui firent double chère et de ce qu’ils trouvèrent et de ce qu’ils avaient apporté. Après avoir fait des libations en action de grâces, et chanté un pæan, ils posèrent des gardes et s’endormirent. Cependant un courrier était venu de nuit informer les Corinthiens de l’affaire de Thyamie : aussitôt ils avaient recueilli à son de trompe et avec un empressement amical tous les chariots et les bêtes de somme pour transporter les blés à Phlionte ; et tant qu’avait duré l’investissement, il s’était fait chaque jour de semblables convois.


CHAPITRE III.


Voilà ce que j’avais à dire des Phliasiens, de leur loyauté envers un peuple ami, et de leur persévérante fidélité au sein même de la disette.

Environ dans le même temps, Énée de Stymphale, chef de l’Arcadie, ne pouvant souffrir ce qui se faisait à Sicyone, monta avec ses troupes à la citadelle, et rassemblant les principaux de la ville, rappela ceux qu’on avait bannis sans décret.

Euphron, épouvanté, descend au port de Si-