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cédémone, heureux de secouer enfin le joug de la servitude. »

Ces propositions séduisantes amènent les Argiens et les Arcadiens à Sicyone, où, en leur présence, Euphron convoque le peuple pour y établir un gouvernement fondé sur l’égalité. Dès qu’ils furent assemblés, il leur demanda de choisir des gouverneurs à leur gré. Euphron lui-même, Hippodamus, Cléandre, Acrisius et Lysandre, furent nommés. Il destitua ensuite Lysimène, commandant des troupes soldées, pour mettre à leur tête son fils Adéas. Bientôt ses largesses lui attachèrent une partie de ces troupes soldées ; il en gagna d’autres encore avec les deniers publics et sacrés qu’il n’épargnait pas.

Il confisquait le bien de ceux qu’il bannissait pour leur attachement à Lacédémone. De ses collègues, il tuait ceux-ci, exilait ceux-la ; en sorte que devenu maître absolu, il affectait ouvertement la tyrannie. Pour obtenir l’aveu des alliés, l’or était semé ; il se faisait un plaisir de les accompagner dans leurs expéditions avec ses troupes soldées.


CHAPITRE II.


Les affaires en étaient là : les Argiens circonvallaient Tricrane, forteresse située dans la Phliasie, au-dessus du temple de Junon ; les Sicyoniens fortifiaient Thyamie, sur les frontières de la Phliasie. Les Phliontins réduits par-là aux dernières extrémités, n’en persévérèrent pas moins dans leur alliance avec Lacédémone.

Que tous les historiens célèbrent les exploits des républiques du premier ordre ; pour moi je juge plus intéressant encore de produire au grand jour les actions mémorables d’une petite cité.

Les Phliasiens avaient fait alliance avec Lacédémone, dans les temps où cette illustre république était parvenue à son plus haut point de grandeur. Malgré ses revers à la bataille de Leuctres, au moment où beaucoup de périèces l’abandonnaient, où tous les hilotes et presque tous les alliés se révoltaient, où tous les Grecs, pour ainsi dire, se soulevaient contre elle, ils lui restèrent fidèles ; ils la secoururent, quoique assaillis par les peuples les plus puissans du Péloponnèse, les Argiens et les Arcadiens. Ils avaient uni leurs armes à ceux de Corinthe, d’Épidaure, de Trézène, d’Hermione, de l’Halie, de la Sicyonie et de Pellène. Arrivés près de la rivière de Lerne, le sort voulut qu’ils fissent les derniers le trajet qui conduit à Prasies, mais loin de rebrousser chemin, lors même que le chef des troupes soldées les eut abandonnés, emmenant avec lui les guerriers qui venaient de faire le trajet avant eux, ils louèrent un guide de Prasies ; et quoique les ennemis fussent près d’Amycles, ils pénétrèrent à Sparte comme ils purent : aussi, entre autres honneurs, Lacédémone leur envoya-t-elle un bœuf en signe d’hospitalité.

Lorsque les ennemis eurent évacué la Laconie, les Argiens irrités de la fidélité des Phliontins pour Lacédémone, se jetèrent en masse sur les terres de Phlionte : ils les ravagèrent, mais sans réduire les habitans ; et comme ils se retiraient après avoir commis tous les désordres possibles, les cavaliers de Phlionte les poursuivirent, et quoique seulement au nombre de soixante, ils mirent en déroute la cavalerie argienne et quelques cohortes qui protégeaient son arrière-garde. Ils tuèrent peu de monde ; mais ils dressèrent un trophée à la vue des Argiens, comme s’ils les avaient entièrement défaits.

Les Lacédémoniens et leurs alliés défendant de nouveau le passage d’Onée, les Thébains s’étaient avancés pour le franchir. Comme ceux de l’Élide et de l’Arcadie traversaient Némée, pour se joindre aux Thébains, les bannis de Phlionte leur dirent que s’ils voulaient seulement se montrer, ils prendraient Phlionte.

La proposition fut acceptée ; et la même nuit, les bannis, suivis de six cents hommes ou environ, viennent se placer sous les murs de la citadelle avec des échelles. Du haut de Tricrane, des sentinelles ayant averti, par un signal, d’une prétendue arrivée d’ennemis, Phlionte se préparait à les recevoir, lorsque des traîtres font signe à ceux qui étaient embusqués de monter : ils montent, prennent les armes qu’ils trouvent sur le rempart, poursuivent les dix sentinelles de jour (chaque cinquaine en avait fourni une), tuent l’une d’elles qui dormait, et une autre encore qui fuyait vers le temple de Junon. Bientôt toute la garnison fuit et s’élance du haut des murs qui donnaient du côté de la ville : il fut clair alors que les assaillans étaient maîtres de la forteresse.