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pés au péril du moment, ne vous nuisent un jour ? Considérez que l’on doit redouter la puissance, non de ceux à qui on fait du bien, mais de ceux à qui on a fait du mal. Considérez encore que les particuliers, ainsi que les états, doivent, lorsqu’ils sont forts, se ménager des ressources qui les aident, au sein de la grandeur, à conserver leurs premiers avantages.

Ce sont les dieux qui vous offrent une occasion d’acquérir des amis éternellement fidèles, si vous les secourez. Votre bienfait aura pour témoins non-seulement les immortels, qui savent tout et qui voient l’avenir comme le présent, mais encore les alliés et les ennemis, les Grecs et les Barbares. Quel peuple, en effet, voit d’un œil indifférent la situation politique de la Gréce ? Si donc les Lacédémoniens vous payaient d’ingratitude, qui désormais pourrait les affectionner ? Ne doit-on pas s’attendre à trouver des cœurs généreux plutôt que des lâches chez un peuple qui se montra toujours aussi avide de gloire qu’incapable d’une action honteuse ?

« Une autre considération encore. Si une nouvelle invasion de Barbares menaçait la Grèce, sur qui pourriez-vous mieux compter que sur les Lacédémoniens ? à qui recourriez-vous plus volontiers qu’à ces dignes rivaux, qui aimèrent mieux combattre et mourir aux Thermopyles que de vivre en introduisant un roi barbare dans la Grèce ? Puisqu’ils ont signalé leur courage avec vous, puisqu’on doit espérer qu’ils se signaleront encore, n’est-il pas juste que nous les secourions de concert et avec une égale ardeur ?

« Vous le devez au généreux attachement des alliés dont s’honore Lacédémone : s’ils lui demeurérent fidèles dans l’infortune, ne rougiraient-ils pas de manquer pour vous de reconnaissance ? Si les peuples qui veulent partager les périls avec les Spartiates vous paraissent faibles, réfléchissez qu’en réunissant vos forces aux nôtres, nous ne serons plus des lors de petites républiques.

« Athéniens, j’ai ouï dire que les peuples opprimés ou menacés de l’oppression trouvaient chez vous assistance et refuge. Ce que m’apprenait la renommée, mes yeux en sont témoins : je vois les Lacédémoniens, cette nation illustre, et leurs fidèles amis implorer votre secours ; les Thébains, les Corinthiens eux-mêmes, qui ne purent autrefois persuader aux Lacédémoniens de vous perdre, je les vois vous prier aujourd’hui de ne pas laisser périr vos sauveurs.

« Jadis vos ancêtres ne permirent pas qu’on laissat sans sépulture les Argiens tués sous les murs de Thèbes : on cite ce fait avec éloge. Ne sera-t-il pas plus glorieux pour vous de ne laisser ni outrager ni détruire les Lacédémoniens encore subsistans ? Avoir défendu les Héraclides contre la violence d’Eurysthée, voilà encore un beau trait ; mais n’en serait-ce pas un plus beau de sauver, non les premiers auteurs de Sparte, mais Sparte tout entière ? Jadis les Lacédémoniens vous sauvèrent par un simple suffrage : ne serait-ce pas la plus belle des actions de les secourir les armes à la main et en bravant les dangers ?

« Si nous applaudissons de vous exhorter par nos discours à secourir des braves, ne regardera-t-on pas comme un acte de générosité, que tour à tour amis et ennemis des Lacédémoniens, vous vous ressouveniez moins de leurs injustices que de leurs bienfaits, et que vous leur témoigniez votre reconnaissance non-seulement en votre nom, mais au nom de toute la Grèce, dont ils ont généreusement défendu la cause. »

Les Athéniens délibérèrent, et, sans prêter l’oreille aux réclamations des opposans, il fut décrété qu’on secourrait les Lacédémoniens avec toutes les forces de la république. Iphicrate est élu général. Après les sacrifices accoutumés, il ordonne à ses troupes de souper dans l’Académie, d’où plusieurs partent sans l’attendre. Il se met enfin à la tête de ses guerriers, qui le suivent, croyant qu’on les conduit à de brillans exploits. Arrivé à Corinthe, il y perdit quelques jours, perte de temps qui fut d’abord reprochée. Lorsqu’enfin il en sortit, ses troupes le suivirent avec ardeur ; avec la même ardeur elles couraient à l’assaut s’il leur commandait d’attaquer une place. Cependant, parmi les ennemis qui dévastaient la Laconie, ceux de l’Arcadie, d’Argos et d’Élis s’étaient retirés en grand nombre, emportant tout leur butin à la faveur du voisinage. Les Thébains et autres voulaient quitter le territoire, autant parce qu’ils voyaient leurs troupes diminuer chaque jour, que parce que les provisions venaient à manquer : on les avait ou consommées, ou pillées, ou peu ménagées, ou brûlées ; de plus, l’hiver invitait à partir. Dès qu’ils se furent éloignés de Lacédémone, Iphi-