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tendu que tous les alliés fussent arrivés, reprit le chemin de Corinthe, où il les licencia, et ramena ses troupes à Lacédémone.

Cependant Jason, se retirant par la Phocide, s’empara des faubourgs d’Hyampolis, ravagea le territoire, tua beaucoup de monde, mais traversa sans désordre le reste de la Phocide. Arrivé à Héraclée, il la démantela, non dans la crainte qu’on vînt l’attaquer par ces passages ouverts, mais parce qu’il craignait qu’en prenant Héraclée, située sur un détroit, on ne lui fermât le passage de la Grèce.

De retour en Thessalie, il jouissait d’une haute considération, parce qu’il venait d’être proclamé légalement chef de la Thessalie, et qu’il entretenait à sa solde quantité de fantassins et de cavaliers, qui devaient à de continuels exercices une supériorité marquée. Ce qui ajoutait à sa grandeur, c’est qu’il comptait beaucoup d’alliés, et qu’on recherchait de jour en jour son alliance. Mais ce qui le plaçait au-dessus de ses contemporains, c’est que tous le respectaient.

A l’approche des jeux pythiques, il ordonne qu’on nourrisse des bœufs, des brebis, des chèvres, des truies, et qu’on s’apprête à des sacrifices. On assure que tout modéré qu’il se montra dans ses ordres, il eut au moins mille bœufs et plus de deux mille pièces d’autre bétail. Il avait proposé même une couronne d’or pour prix de celui qui engraisserait, en l’honneur d’Apollon, le bœuf le plus beau. Il enjoignit aussi aux Thessaliens de se disposer à une expédition à l’époque des jeux pythiques ; car il prétendait à la surintendance de la fête et des jeux. Quelles étaient ses vues sur l’argent consacré au dieu, c’est ce que l’on ignore à présent encore. Les Delphiens, dit-on, demandèrent à l’oracle ce qu’il faudrait faire si Jason prenait l’argent du dieu ; le dieu répondit que ce serait son affaire. Ce grand personnage, qui roulait dans son esprit de si vastes projets, venait un jour de faire la revue de la cavalerie de Phère ; déjà il était assis et répondait aux demandes des particuliers qui l’approchaient, lorsque sept jeunes gens, feignant un différend entre eux, l’abordent et le tuent sur la place. Les gardes accoururent à sa défense et en tuérent deux, l’un d’un coup de javeline, dans le moment où il frappait encore Jason ; on tomba sur l’autre lorsqu’il montait à cheval ; il mourut blessé de plusieurs coups ; les autres, s’élançant sur des chevaux qui les attendaient, se sauvèrent et furent accueillis avec honneur dans les villes grecques où ils passaient ; ce qui montra combien les Grecs craignaient qu’il ne devînt tyran.

Jason eut pour successeurs Polydore et Polyphron, ses frères. Comme ils allaient ensemble à Larisse, Polyphron tua son frère Polydore pendant son sommeil ; du moins le bruit en courut, puisque sa mort fut subite et qu’on n’en connut aucune cause plausible. Polyphron usa pendant une année d’une autorité qui approchait de la tyrannie, car il avait tué Polydamas, avec lui huit des principaux citoyens de Pharsale et banni plusieurs habitans de Larisse. Il gouvernait avec ce despotisme, lorsqu’à son tour Alexandre l’assassina sous prétexte de venger Polydore et de renverser la tyrannie.

Alexandre, investi de l’autorité suprême, devint odieux aux Thessaliens et aux Thébains, ennemi des Athéniens, redoutable sur terre et sur mer par ses brigandages : aussi fut il à son tour massacré par les frères de sa femme, qui dirigeait les coups. Elle leur avait déclaré qu’Alexandre en voulait à leur vie ; un jour entier elle les tint cachés dans le palais ; Alexandre revient ivre, et s’endort ; à la lueur d’une lampe, elle lui ôte son épée : ses frères hésitaient à s’approcher d’Alexandre ; elle les menace de l’éveiller s’ils ne consomment le crime. Dès qu’ils furent entrés, elle ferma la porte dont elle tenait le verrou jusqu’à ce que son mari expirât. Au rapport de quelques-uns, la haine de cette femme provenait de ce qu’ayant un jour fait mettre aux fers un beau jeune homme qu’elle aimait, il l’avait tiré de prison et égorgé, indigné qu’elle demandât sa grâce ; selon d’autres, n’ayant point d’enfans de cette épouse, il avait envoyé à Thèbes demander en secondes noces la veuve de Jason : c’était là, disait-on, le motif de son crime. Au reste, Tisiphon, l’aîné de ses frères, régnait encore lorsque je composais ce livre.


CHAPITRE V.


Je viens de donner l’histoire de la Thessalie sous Jason, et depuis lui jusqu’au règne de Tisiphon. Maintenant revenons au point d’où je suis parti.

Lorsque Archidamus eut ramené les troupes