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leur parti, et qu’ils seraient eux-mêmes assiégés ; que le peuple thébain, manquant de subsistances, pourrait bien se révolter ; que d’ailleurs beaucoup d’entre eux ayant été déjà bannis, trouveraient plus avantageux de mourir en combattant que d’essuyer un second exil. Ils se sentaient encore encouragés par un oracle qui menaçait les Lacédémoniens d’une défaite au lieu même où était situé le tombeau de ces vierges qui s’étaient tuées, disait-on, pour ne pas survivre a l’outrage de quelques Lacédémoniens. Les Thébains ornèrent ce tombeau avant la bataille : on leur annonçait de la ville que tous les temples s’étaient ouverts d’eux-mêmes, que les prêtresses au nom des dieux leur présageaient la victoire. On disait même que les armes d’Hercule ne se trouvaient plus dans son temple, comme si Hercule en eût franchi l’enceinte pour combattre ; mais, selon quelques-uns, tout cela n’était qu’un stratagème des chefs.

Quoi qu’il en soit, tout se déclarait contre Sparte, tandis que même la fortune travaillait à la gloire de leurs ennemis ; car ce fut après dîner que Cléombrote se décida pour la bataille ; et l’on dit que la chaleur du vin et du jour aida beaucoup à prendre cette dernière résolution. Le lendemain, comme on s’armait de part et d’autre et que tout se disposait au combat, sortirent du camp bœotien des approvisionneurs, des valets, des gens qui ne voulaient pas combattre. Ils furent investis par les troupes soldées d’Hiéron, par les peltastes phocéens et par les cavaliers de Phlionte et d’Héraclée, qui les chargèrent et les poursuivirent jusqu’au camp des Bœotiens, et rendirent ainsi l’armée bœotienne beaucoup plus nombreuse qu’auparavant.

La bataille devant se donner dans une plaine, les Lacédémoniens rangèrent leurs cavaliers en avant du front de la phalange. Les Thébains firent de méme : leur cavalerie s’était formée dans les guerres d’Orchoméne et de Thespie, tandis que celle des Spartiates de ce temps-là était misérable ; car c’étaient les riches qui nourrissaient les chevaux ; et lorsqu’on décrétait la levée, le guerrier désigné se présentait ; il recevait d’eux son cheval et ses armes, et marchait au combat. Les chevaux étaient montés par les hommes les moins vigoureux et les plus lâches. Telle était la cavalerie des deux peuples.

Quant à l’infanterie, les Lacédémoniens en composaient les énomoties de trois files, ce qui ne donnait pas plus de douze hommes de hauteur ; au lieu que celles des Thébains n’étaient pas moins de cinquante rangs : ils considéraient que s’ils enfonçaient le bataillon du roi, le reste serait à leur discrétion.

Dans cette disposition, Cléombrote s’ébranle ; avant même que ses troupes se doutassent qu’il les conduisait, la cavalerie s’était mêlée de part et d’autre : bientôt celle des Lacédémoniens avait eu le dessous, et dans la fuite, s’était embarrassée parmi ses hoplites ; les Thébains, en la chargeant. augmentèrent ce désordre.

Il parait cependant que Cléombrote eut les premiers avantages ; ce qui le prouve, c’est qu’autrement les siens n’auraient pu l’enlever et le porter vivant hors du champ de bataille.

Le polémarque Dinon, Sphodrias, officier de marque de la tente royale, et son fils Cléonyme, ayant été tués, les cavaliers, les lieutenans du polémarque et autres plièrent, entraînés par la foule des fuyards ; l’aile gauche, à la vue de la droite enfoncée, lâchait pied ; la mort moissonnait tous les rangs. Quoique vaincus, les Lacédémoniens franchissent le fossé pratiqué sur le front de leur camp, et posent leurs armes à terre au lieu même d’où ils étaient partis pour aller au combat. Le camp était assis sur un terrain qui allait en pente. Quelques Lacédémoniens, ne croyant pas devoir supporter cet échec, disaient qu’il fallait empêcher l’ennemi de dresser un trophée, et tenter d’enlever les morts, non à la faveur d’une trève, mais les armes à la main.

Cependant les polémarques, voyant sur le champ de bataille près de mille Lacédémoniens et quatre cents Spartiates environ, de sept cents qu’ils étaient ; voyant d’ailleurs tous les alliés découragés, quelques-uns même peu affligés de l’événement, rassemblèrent les chefs pour délibérer sur le parti qu’il convenait de prendre. Il fut unanimement décidé qu’on enlèverait les morts à la faveur d’une trève ; un héraut fut envoyé pour la demander. Les Thébains dressèrent un trophée et rendirent les morts.

La nouvelle de la défaite arrive à Lacédémone le dernier jour des Gymnopédies, lorsque le chœur des hommes était déjà sur la scène. Les éphores, quoique affligés, comme cela devait étre, ne le congédièrent pas ; ils laissèrent, au contraire, achever la célébration des jeux. Ils