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parmi les hommes, mais elles ont un terme : nous désirerons enfin la paix si nous la rejetons aujourd’hui. Pourquoi donc attendre, pour la conclusion de cette paix, l’épuisement et des maux insupportables ?

« Je n’approuve ni ces athlètes qui, souvent vainqueurs et couverts de gloire, ne quittent la lice et ne renoncent à leur profession que lors qu’ils sont vaincus, ni ces joueurs qui doublent leur mise lorsque le sort les trahit ; je vois que la plupart de ces hommes tombent dans une misère affreuse.

« Instruits par leur exemple, ne courons pas les risques de tout gagner ou de tout perdre : tandis que nous avons des forces et que nous sommes heureux, rapprochons-nous, et devenons amis. Ainsi, grâces à une bienveillance réciproque, nous deviendrons plus puissans dans la Grèce que nous ne le fûmes jamais. »

Chacun ayant goûté ces raisons, la paix fut conclue, aux conditions que les Lacédémoniens retireraient des villes leurs harmostes, qu’ils licencieraient leurs armées de terre et de mer, et qu’ils laisseraient aux villes leur indépendance ; que dans le cas de contravention à cet accord, on secourrait, si l’on voulait, les villes opprimées, mais que ceux qui ne voudraient pas marcher, n’y seraient pas contraints par le serment.

Sous ces conditions Lacédémone jura la paix, tant pour elle que pour ses alliés ; les Athéniens et leurs alliés prétèrent le serment, chacun dans leur ville. Pour les députés thébains, après s’être inscrits au rang des villes assermentées, ils reparurent le lendemain dans le conseil et de mandérent qu’au mot Thébains on substituat celui de Bœotiens ; mais Agésilas répondit qu’il ne changerait rien à un serment consigné dans les registres publics ; que s’ils ne voulaient point être du traité, il effacerait leur nom.

La paix acceptée sans autre réclamation que celle des Thébains, les Athéniens se persuadaient que les Thébains seraient condamnés à payer au dieu de Delphe la dîme de leurs biens : les Thébains partirent entièrement découragés.


CHAPITRE IV.


Les Athéniens retirèrent ensuite leurs garnisons des villes, et rappelèrent Iphicrate, après l’avoir contraint à rendre tout ce qu’il avait pris depuis le traité fait avec Lacédémone. Les Lacédémoniens, de leur côté, rappelèrent leurs harmostes et leurs garnisons, à l’exception de Cléombrote, qui, chargé de l’armée de la Phocide, attendait les ordres du conseil. Prothoüs était d’avis qu’on licenciât les troupes conformément au traité ; que l’on invitât les villes à porter au temple d’Apollon ce qu’elles jugeraient à propos ; que dans le cas où quelqu’un mettrait obstacle à la liberté, ou assemblât contre lui tous les partisans de l’indépendance ; que c’était, selon lui, le seul moyen de se rendre les dieux propices, et de ne point indisposer les alliés ; mais un mauvais génie entraînait, à ce qu’il paraît, Lacédémone à sa perte. L’assemblée, jugeant que Prothoüs rêvait, envoie à Cléombrote ordre de ne pas licencier les troupes, mais de marcher contre les Thébains, s’ils ne laissaient pas aux villes leur autonomie.

Cléombrote apprit que, loin délaisser les villes en liberté, ils ne licenciaient pas même leur armée, dans l’intention de l’attaquer. Il entra donc sur leurs terres, non par la frontière de la Phocide et les défilés dont s’était rendu maître Épaminondas, mais par Thisbé, pays de montagnes, où il n’était pas attendu, et se rendit à Creusis, qu’il prit ainsi que douze trirèmes thébaines ; puis, quittant la mer, il monta à Leuctres, sur les terres de Thespie. Les Thébains, campés vis-à-vis de lui sur une hauteur assez voisine, n’avaient d’autres troupes que celles de la Bœotie. Là ses amis vinrent le trouver, et lui dirent :

« Cléombrote, si tu laisses aller les Thébains sans combat, attends-toi au dernier supplice : on n’oubliera pas que lorsque tu te rendis à Cynocéphale, tu épargnas le territoire des Thébains, et que depuis, dans une autre expédition, tu craignis de les attaquer ; tandis qu’Agésilas ne manqua jamais de fondre sur eux par le mont Cithéron. Si donc ton salut t’est cher, si tu désires revenir dans ta patrie, marche contre les Thébains. » Tel était à peu près le langage des amis de Cléombrote. Il fera voir, disaient ses ennemis, s’il est vraiment porté pour les Thébains, comme on l’affirme.

Cléombrote fut déterminé par ces raisons à présenter la bataille. Les généraux thébains, de leur côté, considéraient que s’ils n’engageaient pas l’action, les villes voisines abandonneraient