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je crois, aux forces de toute autre république : j’en pourrais tirer d’ailleurs un pareil nombre ; mais que m’offrirait cette faible ressource ? des enfans, ou des vieillards que le poids des ans affaiblit. Dans la plupart des cités, peu d’hommes se fortifient le corps par la gymnastique ; au lieu que dans mes troupes, je n’ai point de guerrier qui ne soit capable des mêmes travaux que moi : et Jason lui-même, car, Lacédémoniens, il faut vous dire la vérité, est aussi robuste qu’infatigable ; tous les jours il exerce ses troupes, sans cesse à leur tête, soit dans les exercices soit dans les combats.

« Les soldats qu’il juge mous et faibles sont réformés : il gratifie de double, triple et même quadruple paye, et d’autres présens encore, ceux qu’il voit infatigables et bravant les périls : malades, il les soigne ; morts, il honore leurs cendres : aussi tous les guerriersa sa solde savent-ils qu’avec de la bravoure ils seront comblés de gloire et de biens. Il m’observa, ce que je savais, qu’il avait sous sa domination les Maraces, les Dolopes et Alcétas, chef de I’Épire. Avec ces avantages, ajouta-t-il, me serait-il difficile de vous assujettir ?

« Mais qu’attendez-vous, me dira quelqu’un qui me connaîtrait mal ? pourquoi ne marchez-vous pas sur-le-champ contre les Pharsaliens ? C’est que j’aime mieux les gagner par la douceur, que les réduire par la force. Que la crainte les asservisse, ils me nuiront de tout leur pouvoir ; et moi je n’aurai en vue que leur affaiblissement : au lieu que si je gagne leur bienveillance, nous nous rendrons à l’envi tous les bons offices possibles.

« Je sais, Polydamas, que ta patrie t’investit de sa confiance ; obtiens-moi son affection, et je te constitue le plus puissant des Grecs après moi : apprends sur quoi je fonde ma promesse, et ne te fie point a mes paroles, à moins que ta raison ne t’en démontre la vérité.

Une fois maître de Pharsale et des villes qui en dépendent, n’est-il pas évident que je me verrai bientôt chef de toute la Thessalie, et que j’aurai alors à mes ordres six mille cavaliers, et plus de dix mille hoplites ? Que ces troupes, aussi robustes que braves, soient bien dirigées, les Thessaliens alors ne se laisseront dominer par aucun peuple.

« La Thessalie est un vaste pays ; lorsqu’elle agit sous un chef unique, tous les peuples circonvoisins lui obéissent ; et comme ils sont presque tous gens de traits, il est probable que nous l’emporterons aussi en peltastes.

« J’ai pour alliés les Bœotiens et tous les peuples en guerre avec Lacédémone : ils seront prêts à me suivre, pourvu que je les affranchisse du joug de cette république. Athènes, je ne l’ignore pas. ferait tout pour contracter alliance avec moi ; mais moi je serais peu jaloux de son amitié, parce qu’à mon avis, nous acquerrons l’empire sur mer plus facilement encore que sur terre.

« Examine si, sur ce point, je raisonne encore juste. Disposant de la Macédonie, d’où Athènes tire ses bois de construction, il dépend de nous d’équiper beaucoup plus de vaisseaux que cette république. Aurait-elle plus d’hommes pour les monter que nous, qui avons tant et de si habiles esclaves ? Quant à la nourriture des matelots, à qui est-elle plus facile, de nous, à qui un territoire fertile permet de faire des exportations, ou des Athéniens, qui manquent de grains, s’ils n’en achètent ! Nos finances seront plus considérables, parce que nous tirons nos revenus, non de petites îles, mais d’un vaste continent qui nous environne, et dont les peuples paient tribut à la Thessalie, lorsqu’un seul chef la gouverne.Tu ne peux ignorer que ce ne sont pas les revenus des îles, mais ceux du continent, qui rendent si opulent le grand roi : eh bien, la conquête de ses états me coûtera moins encore que celle de la Grèce. Là, tous, à l’exception d’un seul, sont plus façonnés à la servitude qu’aux idées libérales. Qui ne sait qu’avec une poignée d’hommes Cyrus et Agésilas firent trembler ce monarque sur son trône ?

« Je répondis à Jason que ce qu’il disait méritait notre attention, mais surtout que la proposition d’abandonner les Lacédémoniens, amis fidèles, dont nous n’avions pas à nous plaindre, était embarrassante. Il loua ma réponse et me dit que mon caractère lui rendait mon amitié encore plus désirable. Il me permit donc de venir vous parler franchement et vous communiquer son dessein de marcher contre Pharsale, si elle ne se rendait de bonne grâce. Demande du secours aux Lacédémoniens, me disait-il : si tu les détermines à t’envoyer des troupes en état de me résister, le sort des armes décidera entre nous ; mais si tu n’obtiens pas des secours suffisans,