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ami ; mais ils redoutaient Agésilas, ses partisans et ceux qui restaient neutres ; car on jugeait le délit grave. Sphodrias dit donc à Cléonyme : « Mon fils, tu peux sauver ton père, si tu pries Archidamus de rendre Agésilas favorable à ma cause. » À ces mots, le jeune homme court avec confiance aborder Archidamus et le prie d’être le sauveur de son père.

Archidamus, voyant Cléonyme pleurer, mêlait ses pleurs à ceux de son jeune ami ; et répondant à sa requête : « Sache, Cléonyme, que je n’oserais même regarder mon père en face : si je désire obtenir quelque chose dans la république, je m’adresse à tout autre qu’à mon père ; cependant, puisque tu le veux, compte sur mon zèle et celui de mes amis pour te rendre content. » il venait alors de la salle où les Spartiates prenaient en commun leurs repas ; il se couche. Le lendemain, il se leva de grand matin, dans la crainte que son père ne sortît à son insu.

Il le voit prêt à sortir ; il lui laisse donner audience d’abord aux citoyens, ensuite aux étrangers, puis à ceux de ses officiers qui désiraient lui parler. Enfin comme Agésilas, de retour de l’Eurotas, entrait dans sa maison, Archidamus se présenta encore sans l’aborder : le lendemain il en fit autant. Agésilas se doutait bien du motif de ses allées et venues ; mais il ne lui faisait pas de questions. Archidamus désirait, comme on peut le croire, de voir Cléonyme ; mais il ne l’osait pas sans avoir présenté la requête à son père. Les amis de Sphodrias, ne voyant plus venir Archidamus comme auparavant, appréhendaient fort qu’il n’eût été rebuté.

Archidamus enfin se hasarde d’aborder Agésilas : « Mon père, lui dit-il, Cléonyme veut que je vous prie de sauver son père ; s’il est possible, sauvez-le, je vous en conjure. — Je te pardonne, répondit Agésilas ; mais moi, comment serais-je excusable de ne pas condamner un homme qui a sacrifié l’intérêt général à sa cupidité ? » Archidamus se retira sans répliquer, vaincu par une si juste réponse ; mais de nouveau, ou de son propre mouvement ou par instigation, il aborde son père : « Je sais, lui dit il, que vous absoudriez Sphodrias s’il était innocent ; mais s’il est coupable, pour l’amour de moi qu’il obtienne son pardon. — Soit, si cela se peut sans blesser l’honneur. » Sur cette réponse, il s’en alla le découragement dans l’âme.

Cependant un des amis de Sphodrias, conversant avec Étymoclès, lui tint ce langage : « Vous tous, amis d’Agésilas, vous condamnerez Sphodrias à mort ? — Nous ferons comme Agésilas, qui dit a tous ceux à qui il parle de cette affaire, qu’on ne peut justifier Sphodrias, mais qu’il est bien dur de perdre un homme qui, enfant, adolescent, et dans l’âge de puberté, s’est toujours comporté avec distinction ; que la république a besoin de tels braves. »

Ce mot rapporté à Cléonyme, lui rendit l’espérance. il va trouver Archidamus : « Maintenant, lui dit-il, nous savons que vous vous occupez de nous ; apprenez, Archidamus, que nous aussi nous n’épargnerons ni soins ni efforts pour que vous n’ayez jamais à rougir de notre amitié. » Il lui tint parole : car il vécut en homme d’honneur ; et à Leuctres, ou il combattit sous les yeux du roi avec le polémarque Dinon, il chargea le premier et mourut au milieu des ennemis. il est vrai que sa mort affligea vivement Archidamus ; mais, suivant sa promesse, loin de le déshonorer, il fut son ornement et sa gloire. Voilà comment Sphodrias fut absous.

Cependant les partisans des Bœotiens représentaient au peuple d’Athènes qu’au lieu de punir Sphodrias, on avait approuvé son odieuse tentative. Les Athéniens fermèrent donc le Pirée, équipèrent une flotte et secoururent les Bœotiens avec ardeur. Les Lacédémoniens, de leur côté, ordonnèrent une levée contre les Thébains ; et persuadés de la supériorité d’Agésilas sur Cléombrote, ils le prièrent d’accepter le commandement. Après avoir protesté de son obéissance aux volontés de son pays, il se disposa à partir ; mais il comprit qu’il était difficile d’entrer dans la Bœotie, si l’on ne s’emparait du Cithéron. Sur la nouvelle que les Clétoriens, en guerre avec ceux d’Orchomène, avaient des troupes soldées, il traite avec eux, et obtient que ces troupes lui soient accordées au besoin ; puis il sacrifie sous de favorables auspices. Avant de se rendre à Tégée, il envoie au commandant des troupes soldées par les Clétoriens la solde d’un mois, en le priant de s’emparer du Cithéron. il demande aux Orchoméniens suspension d’armes pendant la durée de l’expédition : si pendant son absence quelque ville faisait une tentative contre Sparte, ce serait contre elle qu’il marcherait avant tout, suivant la convention des alliés.