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pensait que ces ravages ralentiraient sa marche et nuiraient à sa retraite : il se proposait, lorsqu’il s’éloignerait d’Olynthe, de couper les arbres, et de s’en former une barrière, si l’on voulait fondre sur son arrière-garde.

A dix stades au plus de la ville, il fit halte : en s’avançant vers les portes par où sortait l’ennemi, il se trouvait à la tête de l’aile gauche ; il y resta. Les alliés occupaient l’aile droite avec la cavalerie de Thèbes, de Lacédémone et de Macédoine. Il retint près de lui Derdas, avec ses cavaliers, au nombre d’environ quatre cents, autant parce qu’il estimait sa cavalerie que par honneur pour Derdas, qu’il voulait vivement intéresser à cette expédition.

Les ennemis s’étaient rangés près des murs : leur cavalerie étroitement serrée charge celle de Sparte et de Bœotie, renverse de dessus son cheval Polycharme, hipparque lacédémonien, le foule à terre, le couvre de blessures, le tue lui et d’autres braves encore, et met en déroute la cavalerie de l’aile droite. A la vue de ces cavaliers en fuite, l’infanterie pliait déjà ; la bataille était perdue si Derdas et ses cavaliers n’eussent poussé droit aux portes d’Olynthe, suivis de Téleutias et de ses troupes bien rangées. La cavalerie olynthienne pénétrant son dessein, et craignant d’être coupée, rebroussa chemin en grande diligence : alors Derdas en tua plusieurs. Mais l’infanterie olynthienne rentra dans la ville sans grande perte, parce qu’elle était près des murs. Téleutias, vainqueur, dressa un trophée, et se retira en coupant des arbres. Comme l’hiver approchait, il licencia les troupes de Macédoine et celles de Derdas. Les Olynthiens continuèrent d’infester les villes fédérées de Sparte, leur prirent du butin et leur tuèrent des hommes.


CHAPITRE III.


A l’entrée du printemps, environ six cents cavaliers olynthiens étaient accourus sur le midi dans les campagnes d’Apollonie, qu’ils fourrageaient ça et là. Le hasard avait amené, le même jour, Derdas et sa cavalerie ; il dînait dans Apollonie. Il voit ce ravage, tient ses chevaux tout prêts, ses cavaliers armés, et ne fait d’abord aucun mouvement ; mais voyant que les Olynthiens accouraient insolemment jusque dans le faubourg, et aux portes même de la ville, il sortit avec ses troupes. A sa vue, ils fuient. Derdas les poursuit dans leur déroute l’espace de quatre-vingt-dix stades : il frappe sans relâche et ne s’arrête que lorsqu’il les a poussés sous les murailles d’Olynthe. Dans cette action l’ennemi perdit environ quatre cents cavaliers. Après cet échec, les Olynthiens, devenus plus casaniers, ne cultivaient qu’une très petite portion de leurs terres.

La saison avançant, Téleutias se met en campagne, dans le dessein de couper les arbres encore sur pied et de ruiner les moissons. Les Olynthiens traversent la rivière qui passe près de la ville, et s’approchent doucement de son camp. Irrité de leur audace, il ordonne à Tiémonide, commandant des peltastes, de courir sur eux. A la vue de ces troupes, les Olynthiens rebroussent chemin, se retirent au pas, et repassent le fleuve, suivis de ces peltastes, qui, croyant poursuivre intrépidement des fuyards, traversent aussi le fleuve. Les cavaliers olynthiens, persuadés de leur supériorité, se retournent, les chargent, tuent Tiémonide, et plus de cent autres avec lui.

Cet échec met Téleutias hors de lui-même ; il s’avance avec ses hoplites, commande aux peltastes et aux cavaliers de donner de toutes leurs forces. Pour s’être inconsidérément approchés des murs, ces derniers se retirèrent fort maltraités. Quant aux hoplites, accablés de traits lancés du haut des tours, ils faisaient retraite en désordre et parant les traits. La cavalerie olynthienne revint alors à la charge, suivie de peltastes et d’hoplites, qui tombèrent sur la phalange rompue. Téleutias périt en combattant : bientôt les Lacédémoniens fuirent, les uns à Spartole, les autres à Acanthe, d’autres à Apollonie, la plupart à Potidée. L’ennemi s’étant partagé pour les suivre, il se fit un horrible carnage : on moissonna la fleur de l’armée.

De telles catastrophes donnent une grande leçon aux hommes : elles leur apprennent que l’on ne doit point châtier même des esclaves dans l’accès de la colère, parce que bien souvent alors on se fait plus de mal à soi que l’on n’en fait à autrui. Mais en guerre, c’est une faute inexcusable de prendre conseil, non de la prudence, mais de son ressentiment. La colère ne voit rien, au lieu que la raison prévoit le danger avant de songer à la vengeance.