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Athéniens, après cette action, naviguèrent librement, comme en temps de paix. Les matelots d’Étéonice refusaient de manœuvrer parce qu’il ne les payait point.

Téleutias fut envoyé par les Lacédémoniens pour le remplacer : son arrivée causa une joie universelle. il convoqua les troupes, et leur adressa cette harangue :

« Soldats, je n’apporte pas d’argent ; mais avec l’aide des dieux, et secondé de votre ardeur, je tâcherai de vous procurer d’abondantes provisions : tant que je commanderai, je veux que vous ne soyez pas plus mal traités que moi. Si je vous disais que j’aimerais mieux manquer du nécessaire que de vous en voir manquer vous-mémes, je vous étonnerais peut-être ; cependant les dieux me sont témoins que je dis vrai : oui, je supporterais la faim deux jours, plutôt que de vous laisser un seul jour sans nourriture. Ma porte fut toujours ouverte à qui avait besoin de moi ; elle l’est encore à présent.

« Vous ne me verrez jouir des commodités de la vie que lorsque vous serez dans l’abondance : si donc vous me voyez supporter le froid, le chaud, les veilles, supportez-les à mon exemple ; je vous y exhorte, non pour que vous ayez des privations, mais pour que vous en retiriez quelque avantage. Si notre république est heureuse, si elle est parvenue au comble de la gloire et de la prospérité, elle le doit, sachez-le, non à une vie molle, mais à ses travaux et à son intrépidité. Vous vous êtes déjà montrés, je le sais, en hommes courageux ; faites en sorte de vous surpasser aujourd’hui ; après avoir supporté gaîment le travail, nous nous féliciterons ensemble de notre bonheur. Quoi de plus doux que de ne flatter ni Grecs ni Barbares pour en tirer de l’argent, de se suffire à soi-même, de se fournir soi-même du nécessaire et par les moyens les plus nobles ! En guerre, vivre aux dépens de l’ennemi, c’est s’occuper en même temps de ses subsistances et de sa gloire. »

Il dit : tous aussitôt de s’écrier qu’il ordonnât tout ce, qu’il voudrait, qu’ils le suivraient partout. Comme il avait sacrifié : « Allons, mes amis, ajouta-t-il, soupez de ce qui vous est apprété ; faites pour un seul jour provision de vivres, et embarquez-vous ensuite en diligence, pour voguer et arriver ou il plaît à Dieu. » ils arrivent ; il les embarque, et cingle de nuit vers le port d’Athènes, tantôt faisant halte et ordonnant qu’on prît du repos, tantôt poursuivant à force de rames.

Que ceux qui le soupçonneraient de témérité. pour avoir osé avec douze vaisseaux en attaquer un bien plus grand nombre, fassent attention à son raisonnement. Cet habile général pensait qu’après la défaite de Gorgopas, les Athéniens ne veillaient point à la garde de leur flotte : qu’il était plus sûr d’attaquer vingt galères au port d’Athênes que dix ailleurs. Il savait que les matelots couchaient sur leurs vaisseaux lorsqu’ils étaient loin d’Athènes ; mais que se trouvant dans le port même, les triérarques dormiraient chez eux, et que les matelots se procureraient un gîte dans les différens quartiers de la ville. D’après ces considérations, Téleutias se mettait en mer. Arrivé à cinq ou six stades du port, il fit halte pour reposer ses troupes. Dès que le jour parut, il vogua droit au port ; suivi de ses douze vaisseaux : il défendit de couler à fond ou de briser aucun navire. Si l’on voyait une trirème à l’ancre, on la mettait hors de combat. On remorquait les moindres vaisseaux de charge, et l’on enfermait dans les grands le plus de prisonniers possible. Quelques soldats avaient même pénétré dans un lieu du Pirée nommé Digma, et pris des marchands et des matelots, qu’ils avaient transportés dans leurs vaisseaux.

Cependant le tumulte est entendu dans les habitations du Pirée ; on en sort, on accourt pour connaître la cause de ces cris : ceux qui sont hors des habitations y rentrent pour prendre les armes ; d’autres portent la nouvelle jusque dans Athènes. Bientôt tous les Athéniens, hoplites ou peltastes, se rassemblent comme si le Pirée était pris. Téleutias renvoie à Égine les vaisseaux de transport, avec trois ou quatre galères dont il s’était rendu maître ; et rasant la côte, parce qu’il partait du port même, il s’empare de quantité de barques de pêcheurs, et d’autres remplies de passagers des îles voisines. Arrivé à Sunium, il y surprit des navires de transport, chargés les uns de blé, les autres de diverses marchandises. Après cela, il se rendit au port d’Égine, où il vendit le butin, et compta un mois d’avance à ses soldats. Il courut ensuite librement dans les environs, prenant ce qu’il pouvait saisir ; par-là il fournissait à l’entretien