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Les Lacédémoniens ayant appris que les Athéniens avaient affermé, à Byzance, le dixième des marchandises venant du Pont-Euxin ; qu’ils étaient maîtres de Chalcédoine, et que les autres villes de l’Hellespont leur étaient dévouées en considération de Pharnabaze, pensèrent que cet état de choses méritait toute leur attention ; et quoiqu’on n’eût aucun sujet de plainte contre Dercyllidas, Anaxibius, qui s’était insinué dans l’amitié des éphores, obtint le gouvernement d’Abyde. Il promettait qu’avec de l’argent et des galères, il ruinerait les affaires des Athéniens dans l’Hellespont : on lui donna trois galères et des fonds pour la solde de mille hommes. Il part, il arrive à Abyde, lève des troupes dans le continent, en tire de l’Éolie, qu’il soustrait à l’obéissance de Pharnabaze. Le satrape marche vers Abyde avec le reste de ses forces : Anaxibius s’avançait de son côté et ravageait les terres. Il joignit trois galères d’Abyde aux siennes ; et avec cette petite flottte il interceptait ce qu’il trouvait de vaisseaux appartenant aux Athéniens ou à leurs alliés.

Les Athéniens, informés de ces succès d’Anaxibius, et craignant de perdre le fruit des exploits de Thrasybule dans l’Hellespont, envoyèrent Iphicrate avec huit vaisseaux et douze cents peltastes qu’il avait pour la plupart commandés à Corinthe, car les Argiens maîtres de Corinthe lui avaient déclaré, parce qu’il avait tué quelques-uns de leurs partisans, qu’ils n’avaient plus besoin de ses services. Revenu depuis à Athènes, il y était resté dans l’inaction.

Dès qu’il fut arrivé dans la Chersonèse, ses coureurs et ceux d’Anaxibius commencèrent la guerre. Quelque temps après, Iphicrate s’aperçoit qu’Anaxibius était allé vers Antandre, avec ses troupes soldées, avec ses cohortes lacédémoniennes et deux cents hoplites abydéniens ; et il apprend que ceux d’Antandre s’étaient joints à lui : se doutant bien qu’après avoir établi garnison dans la place, Anaxibius se retirerait et ramènerait les Abydéniens chez eux, il traversa de nuit les lieux les plus déserts du territoire d’Abyde, et gagna les montagnes. Là, il plaça une embuscade et commanda aux galères qui l’avaient passée de voguer, au point du jour, vers le haut de la Chersonèse, pour faire croire que, selon sa coutume, il venait de recueillir les contributions.

Il ne fut pas trompé dans sa conjecture. Anaxibius se remit en chemin, sans avoir obtenu, dit-on, des auspices favorables ; et même, parce qu’il traversait des campagnes paisibles, qu’il allait à une ville amie, que d’ailleurs on lui avait dit, sur sa route, qu’Iphicrate faisait voile vers Préconèse, il marchait plein de confiance et sans précaution. Tant que les troupes d’Anaxibius furent en rase campagne, Iphicrate ne sortit point de l’embuscade ; mais quand les Abydéniens, qui marchaient les premiers, furent près de Crémaste, où sont des mines d’or, lorsque les troupes soudoyées furent sur la pente de la montagne, et qu’Anaxibius commençait à descendre avec ses Lacédémoniens, Iphicrate fit sortir les siens de l’embuscade et courut droit vers Anaxibius.

Anaxibius, se voyant sans espoir de salut, parce que ses soldats marchaient à la file et dans un détroit, et que ceux qui étaient passés ne pouvaient remonter pour donner du secours, les voyant d’ailleurs tous éperdus à la vue de l’embuscade : « Soldats, il me serait honteux de fuir ; vous, sauvez-vous promptement. » En même temps, il prit un bouclier des mains de son écuyer, et mourut sur le champ de bataille, les armes à la main, près de son ami, qui lui resta fidèle jusqu’au dernier moment. Avec lui périrent douze harmostes lacédémoniens qui l’étaient venu trouver. Le reste fut égorgé dans la fuite : on les poursuivit jusqu’aux portes de la ville. Il périt cinquante hoplites abydéniens, et environs deux cents des autres soldats. Après cet exploit, Iphicrate se retira dans la Chersonèse.


LIVRE V.


CHAPITRE PREMIER.


Voilà ce qui se passait sur I’Hellespont entre les Athéniens et les Lacédémoniens. Cependant Étéonice, encore une fois harmoste d’Égine, dont les habitans commerçaient auparavant avec Athènes, voyant la guerre ouverte sur mer, permit aux Éginètes, avec le consentement des éphores, de ravager l’Attique. Les Athéniens, assaillis par les Éginètes, envoyèrent dans leur