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son armée, ferait de nouvelles levées, et marcherait contre Struthas.

Diphridas remplit cette mission : entre autres exploits, il fit prisonnier Tigrane, gendre de Struthas, qui allait avec son épouse à Sardes ; et il en tira une forte rançon dont il soudoya ses troupes. Diphridas, non moins chéri que Thimbron, était plus entreprenant et plus ami de l’ordre. Incapable de se laisser vaincre par la volupté, il suivait sans relâche ses projets.

Ecdicus arrivé à Cnide, apprenant que le peuple de Rhodes commandait en souverain par terre et par mer, et qu’il avait une flotte double de la sienne, ne voulut point passer outre. Les Lacédémoniens, instruits qu’il n’était pas en force pour aider un peuple ami, ordonnèrent à Téleutias de partir avec les douze vaisseaux qu’il avait dans le golfe d’Achaïe et du Léchée : Ecdicus reviendrait ; pour lui, il servirait les amis de Sparte et ferait à ses ennemis le plus de mal qu’il pourrait.

Téleutias aborde a Samos, y recueille encore quelques vaisseaux, fait voile vers Cnide, d’où revint Ecdicus, et va droit à Rhodes avec une flotte de vingt-cinq voiles. Sur sa route il rencontra Philocrate, fils d’Ephialte, qui, parti d’Athènes avec dix trirèmes, allait à Cypre, au secours d’Évagoras : il se rendit maître de ces dix trirémes, et en cela les deux partis agirent contre leurs propres intérêts : car les Athéniens, alliés du roi de Perse, envoyaient du secours à Évagoras son ennemi, et Téleutias anéantissait des vaisseaux qui voguaient contre un roi en guerre avec la république lacédémonienne. Après être retourné à Cnide, il vendit le butin et prit la route de Rhodes, où son parti l’attendait.

Les Athéniens, pensant que ces succès rendaient à Lacédémone son ancienne supériorité sur mer, envoyérent contre elle une flotte de quarante vaisseaux, sous le commandement de Thrasybule le Stiréen. Ce général ne prit point la route de Rhodes. Il lui semblait difficile de châtier les alliés des Lacédémoniens, retranchés dans des murs et soutenus de la présence de Téleutias : il craignait, d’ailleurs, que ses troupes ne tombassent en la puissance d’un ennemi maître des villes, bien plus nombreux, et surtout récemment vainqueur. Il tira donc vers l’Hellespont, où il ne rencontra aucun adversaire, ce qui lui parut d’heureux augure.

Et d’abord il apprit la mésintelligence qui régnait entre Amadocus, roi des Odrysiens, et Seuthès, qui commandait sur la côte : il parvint à les réconcilier ; il les rendit même alliés et associés d’Athènes, persuadé qu’à la faveur de cette réconciliation, les villes grecques de la Thrace s’intéresscraient davantage à la cause des Athéniens. Encouragé par le succès de cette négociation et par l’affection que lui portaient les villes asiatiques, il partit pour Byzance, où il afferma la dîme qu’on prélevait sur les marchandises qui venaient du Pont-Euxin. Il y établit la démocratie à la place de l’oligarchie ; aussi le peuple voyait-il sans défiance la ville remplie d’Athéniens.

Il traita ensuite avec les Chalcédoniens, et quitta l’Hellespont. Toutes les villes de Lesbos, excepté Mitylène, tenaient au parti de Lacédémone. Avant d’en attaquer aucune, il enrôla, dans Mitylène, quatre cents hommes de sa flotte, les bannis de différentes villes qui s’étaient réfugiés à Mitylène : il leur associa les plus braves des Mitylénéens, en promettant à ceux-ci, s’il soumettait les villes, la souveraineté de Lesbos ; aux bannis, un retour assuré dans leurs foyers, s’ils attaquaient chaque ville de concert avec lui ; aux soldats de sa flotte, abondance et richesses.

Après les avoir enrôlés et flattés de ces espérances, il marcha contre Méthymne. Thérimaque, gouverneur de la ville pour les Lacédémoniens, apprend que Trasybule approche, rassemble tous les soldats de la flotte, avec les Méthymniens et les bannis de Mitylène, et va jusqu’aux frontières au-devant de l’ennemi. L’action s’engage : Thérimaque périt ; ses soldats sont mis en déroute et tués en grande partie dans leur fuite. Quelques villes se rendirent par composition ; Thrasybule livra au pillage celles qui résistaient, paya ses soldats et se hâta d’arriver à Rhodes, pour y former une armée redoutable : il tira de l’argent de plusieurs places, et entre autres d’Aspende, où il vint en remontant par l’Eurymédon. Les Aspendiens avaient à peine satisfait à leur contribution, que ses soldats ravagèrent le territoire : indignés de cette injustice, ils firent la nuit une sortie, et le mirent en pièces dans sa tente.

Ainsi finit Thrasybule, général distingué. Les Athéniens lui donnèrent Argyre pour successeur.