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pondit qu’il pouvait, sans impiété, rejeter une trêve proposée de mauvaise foi.

De là il marcha en diligence à Delphes, et demanda au dieu s’il était de l’avis de son père. Sur la réponse favorable qu’il en eut, Agésipolis recueillit ses troupes à Phlionte, où elles s’étaient rassemblées pendant ses voyages vers les deux temples, et entra par Hémée dans l’Argolide. Les Argiens, hors d’état de résister, envoyèrent une seconde fois offrir la trêve par des hérauts couronnés selon la coutume. Agésipolis fit réponse que les dieux ne voyaient pas de bonne foi dans l’offre de cette trêve ; et sans en tenir compte, il continua sa marche, semant le trouble et l’épouvante dans la ville et dans les champs.

Le premier jour de l’invasion, tandis qu’il faisait les libations accoutumées après souper, la terre trembla. Les Lacédémoniens de la tente royale chantèrent tous l’hymne de Neptune ; mais les autres soldats refusaient de passer outre, parce qu’autrefois, à l’occasion d’un tremblement de terre, Agis était sorti de l’Élide. Agésipolis observa que si elle eût tremblé avant qu’il entrât, il se serait cru repoussé par le dieu ; mais que, puisqu’elle avait tremblé depuis, c’était un signe d’approbation.

Le lendemain, il sacrifia donc à Neptune, et continua sa route à petites journées. Tout récemment Agésilas avait fait une campagne contre les Argiens. Agésipolis demandait donc à ses soldats à quelle distance des murailles Agésilas s’était tenu, s’il avait fourragé bien avant dans les terres : semblable au pentathle, il s’efforçait de surpasser en tout son rival.

On tirait un jour sur lui des remparts ; il en traversa de nouveau les fossés. Un autre jour que les Argiens faisaient excursion dans la Laconie, il s’avança si près des portes, que les gardes en refusèrent l’entrée à la cavalerie bœotienne, de peur que les Lacédémoniens n’entrassent pêle-mêle avec eux. Elle fut donc obligée de se nicher sous les créneaux, comme les chauve-souris ; et sans une excursion des archers crétois, qui avaient quitté le camp lacédémonien pour entrer dans Nauplie, hommes et chevaux, tout eût été percé de traits.

Après cela, comme il était campé a Ircte, la foudre tomba dans son camp et tua quelques soldats, tant de l’étonnement que du coup même. Il voulut alors dresser un fort au pas de Cœlosse ; mais les victimes qu’il immolait ayant manqué de fibres, il ramena ses troupes et les licencia, après avoir désolé le territoire des Argiens, qu’il avait pris au dépourvu.


CHAPITRE VIII.


Tandis que ces combats se livraient sur terre, la mer et les villes maritimes étaient aussi le théâtre d’une guerre que je vais raconter. Je décrirai les faits dignes de mémoire ; les faits peu importans seront passés sous silence. Pharnabaze et Conon, vainqueurs des Lacédémoniens dans un combat naval, s’étaient portés avec leur flotte vers les îles et villes maritimes, d’où ils avaient chassé les harmostes lacédémoniens, avec promesse aux habitans qu’ils n’y bâtiraient point de citadelle, qu’ils leur laisseraient au contraire leurs usages et leurs lois. On écoutait ces promesses avec plaisir ; ou en louait les auteurs ; ou envoyait à Pharnabaze les présens de l’hospitalité. Conon lui avait représenté qu’une conduite modérée attirerait toutes les villes dans son parti ; que s’il les menaçait de servitude, une seule avait assez de forces pour l’inquiéter ; qu’il était à craindre que ce projet, une fois découvert, ne soulevât toute la Grèce.

Pharnabaze suivit donc le conseil de Conon. Descendu a Éphèse, il lui confia quarante galères, avec ordre de le joindre à Seste. Pour lui, il se retira par terre dans son gouvernement : car Dercyllidas, son ancien ennemi, se trouvait dans Abyde lors du combat naval : il n’avait point quitté sa place comme les autres harmostes ; il y avait maintenu son pouvoir ; il l’avait conservée amie des Lacédémoniens. Après avoir convoqué les Abydéniens, il leur avait adressé ce discours :

« Abydéniens, amis jusqu’à ce jour de Lacédémone, vous pouvez vous en montrer aujourd’hui les bienfaiteurs. Être fidèles à ses amis lorsque la fortune leur sourit n’est pas une vertu rare : leur rester constamment attachés dans la disgrâce, c’est acquérir des droits à une reconnaissance éternelle. Notre position n’est cependant point désespérée. Pour avoir essuyé une défaite navale, nous ne sommes point un peuple nul en Grèce. Lorsque Athènes commandait sur mer, notre république en fut-elle moins en état de servir ses amis et de nuire à ses en-