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Les captifs, suivis des Lacédémoniens préposés à leur garde, attiraient moins les regards que les gardes eux-mêmes, parce que d’ordinaire on prend un plaisir extrême à voir ceux qui prospèrent et triomphent.

Agésilas était encore assis, rayonnant de la gloire de ses exploits : arrive un courrier hors d’haleine, son cheval tout trempé de sueur. On lui demande quelle nouvelle il apporte : sans vouloir répondre à personne, il s’approche d’Agésilas, saute de dessus son cheval, expose, d’un visage triste, la défaite de la garnison du Léchée. À cette nouvelle, Agésilas quitte brusquement le siège, prend sa pique, et fait appeler par son héraut les polémarques, les commandans des pentécostes et ceux des troupes soldées. Ils arrivent. Il ordonne à ses troupes, qui n’avaient pas encore dîné, d’emporter ce qu’elles pourraient de viande, et de le suivre sans délai. Pour lui, sans prendre de nourriture, il part, suivi des soldats de la tente royale. Ses gardes, bien armés, l’accompagnaient affectueusement. Il leur montrait le chemin de l’honneur, ils suivaient ; il avait passé les thermes, il était déjà descendu dans la plaine du Léchée, lorsque trois cavaliers lui annoncérent qu’on avait rendu les morts. Alors il fit halte, ordonna à ses troupes de reprendre haleine, reprit le chemin du temple, et le lendemain le butin fut vendu.

Il appela ensuite les députés de la Bœotie, et leur demanda le sujet de leur ambassade ; mais ils ne parlèrent plus de paix ; ils se contentèrent de dire que s’il n’y avait point d’obstacle, ils désiraient rejoindre leurs soldats à Corinthe. Je vois bien, leur dit-il en souriant, que vous ne désirez pas voir vos soldats, mais y contempler le triomphe de vos amis : attendez que je vous y conduise ; si je vous accompagne, vous serez mieux instruits. Il leur tint parole. Le lendemain, après le sacrifice il mena son armée vers la ville ; il ne toucha point au trophée, et se contenta, pour les braver, de couper ou de briser les arbres qui restaient sur pied. Il campa ensuite prés du Léchée ; et au lieu de mener les députés à Corinthe, il les renvoya par mer à Creusis. Comme les Lacédémoniens n’étaient pas accoutumés à de semblables défaites, tout le camp était dans la consternation, à l’exception des fils, pères ou frères de ceux qui étaient restés sur le champ de bataille : ils marchaient la tête levée, en vainqueurs, et joyeux de leur perte.

Voici ce qui avait causé la défaite de cette more. Les Amycléens assistent toujours à la fête d’Hyacinthe, à Sparte, soit qu’ils se trouvent en voyage, soit en temps de guerre. Agésilas avait laissé au Léchée tout ce qu’il avait d’Amycléens dans son armée. Le polémarque de la garnison du Léchée, après avoir recommandé aux alliés la garde de la place, était sorti, avec la more d’hoplites et de cavaliers, pour escorter les Amycléens le long des murs de Corinthe. A vingt ou trente stades de Sicyone, ce polémarque retournait au Léchée, avec ses hoplites, après avoir ordonné à l’hipparque de revenir en diligence lorsqu’il aurait conduit les Amycléens où ils voulaient aller.

Les Lacédémoniens n’ignoraient pas que Corinthe renfermait quantité de peltastes et d’hoplites ; mais enflés de leurs précédentes victoires, ils les méprisaient et ne croyaient pas qu’on osât les attaquer. Callias, fils d’Hipponicus, et Iphicrate, dont l’un commandait les hoplites et l’autre les peltastes, ayant aperçu, d’une éminence, les Lacédémoniens en petit nombre, dénués de peltastes et sans cavalerie, crurent qu’avec une infanterie légère ils les chargeraient sans danger. Si l’ennemi continuait sa marche, ils le tueraient à coups de traits, en queue et en flanc ; s’il osait poursuivre, d’agiles peltastes échapperaient aisément à de lourds hoplites.

Dans cette persuasion, ils sortent avec leurs troupes. Callias rangea ses hoplites non loin des murs : Iphicrate, suivi de ses peltastes, courut charger l’ennemi. Les Lacédémoniens, assaillis d’une grêle de traits, voyant les leurs ou blessés ou tués, commandèrent aux valets d’enlever les morts et de les porter au Léchée : eux seuls, à dire vrai, se sauvérent. Le polémarque ordonna aux décaphèbes de poursuivre les peltastes dont nous venons de parler. Hoplites contre peltastes, aucun de leurs traits n’atteignit, parce que le polémarque leur avait enjoint de prévenir, par leur retraite, l’arrivée des hoplites de Callias. Ils exécutaient cette retraite dans le désordre qu’avait entraîné leur ardeur à poursuivre. Les peltastes d’Iphicrate se retournent : ceux-ci les chargent de nouveau en front ; ceux-là courent les surprendre en flanc. Dans cette première excursion ils en tuèrent neuf ou dix, ce qui