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sèrent que pour les empêcher d’arriver à travers les longs murs que Praxitas avait démolis, le mieux serait de reconstruire ces murs. On vint en masse avec des maçons et des charpentiers, en sorte qu’en peu de jours on releva, avec succès, le pan de muraille qui regardait Sicyone et le couchant : celui d’orient fut refait plus à loisir.

Cependant les Lacédémoniens considérant que les Argiens, tranquilles au milieu de leurs champs, se réjouissaient de ces troubles, résolurent de leur porter la guerre. Ils entrèrent donc, sous le commandement d’Agésilas, dans leur territoire, qu’ils ravagèrent entièrement ; puis allant par Ténée à Corinthe, ils prirent les murs reconstruits par les Athéniens, tandis que Téleutias, frère d’Agésilas, le venait joindre avec environ douze galères. Aussi leur mère fut-elle estimée heureuse, de ce que, dans le même jour, l’un de ses deux fils s’était emparé des murailles des Corinthiens ; l’autre, de leurs vaisseaux et de leurs arsenaux. Ces exploits terminés, Agésilas licencia les troupes des alliés, et ramena les siennes à Lacédémone.


CHAPITRE V.


Mais quelque temps après, les Lacédémoniens apprirent des bannis que les Corinthiens avaient tout leur bétail au Pirée, qu’ils l’y gardaient, que plusieurs d’entre eux y vivaient ; ils marchèrent de nouveau sur Corinthe, encore sous la conduite d’Agésilas, qui se rendit à l’isthme au mois où se célèbrent les jeux isthmiques. Les Argiens y sacrifiaient à Neptune, comme si Corinthe leur appartînt. Sur la nouvelle qu’Agésilas approchait, ils laissèrent et les victimes et les apprêts du banquet, et s’enfuirent pêle-mêle par le chemin qui conduit à Cenchrée. Agésilas, qui vit leur retraite, au lieu de les poursuivre, entra dans le temple, sacrifia au dieu, et resta jusqu’à ce que les bannis de Corinthe eussent sacrifié et célébré les jeux. Après son départ, ceux d’Argos célébrèrent de nouveau les jeux isthmiques, en sorte qu’ily eut cette année des athlètes deux fois vaincus, et d’autres deux fois couronnés.

Quatre jours après, Agésilas conduisit ses troupes vers le Pirée ; mais voyant bonne garde, il marcha l’après-dînée vers la ville, comme s’il y entretenait quelque intelligence. Les Corinthiens, qui se croyaient trahis, firent venir Iphicrate avec la plupart des peltastes. Agésilas, informé qu’ils étaient passés la nuit, revint sur ses pas vers la pointe du jour, et ramena ses troupes vers le Pirée, en suivant le chemin des thermes, tandis que sa more gagnait le faîte de la montagne. Cette nuit, Agésilas campa près des bains, et sa more sur le haut de la montagne. On lui sut gré, en cette circonstance, d’une idée qui, sans avoir rien d’extraordinaire, eut du moins le mérite de l’a-propos. Ceux qui portaient des vivres à la more ne s’étaient point munis de feu, quoiqu’il fît froid sur un lieu très élevé, que sur le soir ils eussent souffert de la pluie et de la grêle, et qu’ils fussent montés légèrement vêtus. Ils étaient glacés ; ils se souciaient peu de manger dans les ténèbres : Agésilas ne leur envoya pas moins de dix hommes portant du feu dans des pots de terre. Ils arrivèrent, par divers chemins, au haut de la montagne. Comme elle était boisée, on fit grand feu de toutes parts, en sorte que tous se mirent à se frotter d’huile ; quelques-uns soupèrent encore une fois.

Cette même nuit, on vit le feu prendre au temple de Neptune, sans qu’on pût découvrir l’auteur de l’incendie. Ceux du Pirée, apercevant les hauteurs occupées, ne se mirent point en défense : hommes, femmes, enfans, esclaves ou libres, tous fuirent avec une grande partie du bétail au temple de Junon. Agésilas s’avançait avec sa troupe le long de la côte, tandis qu’en descendant de la montagne, la more prenait, malgré ses fortifications, Œnoa et ce qu’il renfermait. Ce jour-là, tous les soldats firent d’abondantes provisions : ceux qui s’étaient réfugiés au temple de Junon, en sortirent pour se rendre à la discrétion d’Agésilas, qui avait ordonné que tout ce qui avait trempé dans le massacre fût livré aux bannis de Corinthe, et que le reste fût vendu. Aussitôt on sortit tout le butin du temple.

Cependant de toutes parts, de la Bœotie surtout, arrivèrent des ambassadeurs pour demander à quel prix ils obtiendraient la paix. Enflé de tant de succès, Agésilas ne paraissait pas les voir, quoiqu’ils lui fussent présentés par Pharax, leur hôte public. il était près d’un étang, assis dans une tour d’où il regardait vider le temple.