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d’officiers qu’il avait postés, les dépouilla entièrement, sans doute pour rapporter une plus riche capture aux commissaires préposés à la vente des dépouilles. Indignés de l’injustice et de l’affront, ils rassemblèrent de nuit leur bagage et se retirèrent à Sardes, vers Ariée, dont ils n’appréhendaient point la trahison, puisqu’il avait aussi quitté le parti du roi de Perse, et lui avait fait la guerre. Rien n’affligea aussi sensiblement Agésilas, dans cette expédition, que cette retraite soudaine de Spithridate, de Mégabyze et des Paphlagoniens.

Un Cyzicénien, nommé Apollophane, qui depuis long-temps se trouvait l’hôte de Pharnabaze, avait aussi gagné les bonnes grâces d’Agésilas. Il dit au roi de Sparte qu’il croyait pouvoir lui procurer une entrevue avec le satrape, et ensuite son alliance. Sur la réponse d’Agésilas, qui lui donna sa parole et consentit à une trêve, Apollophane amena Pharnabaze au lieu convenu. Agésilas et les Trente l’y attendaient, couchés sur le gazon. Pharnabaze arriva superbement vêtu ; ses esclaves étendirent à terre des coussins pour lui faire un siège délicat à la manière des Perses ; mais voyant la simplicité d’Agésilas, il eut honte de sa mollesse, et, comme lui, s’assit sur la terre nue avec ses riches vêtemens.

Quand ils se furent salués, Pharnabaze tendit la main à Agésilas ; Agésilas lui donna la sienne. Pharnabaze, comme plus âgé, parla le premier : « Agésilas, et vous tous Lacédémoniens ici présens, j’ai été votre ami et votre allié, lorsque vous étiez en guerre avec la république d’Athènes ; j’ai soutenu vos armées navales en vous fournissant des fonds ; sur terre, j’ai combattu avec vous dans la cavalerie, et j’ai repoussé vos ennemis jusqu’à la mer. On ne me reprochera, comme à Tissapherne, aucune perfidie, ni dans mes actions, ni dans mes paroles. En récompense de mes bons offices et de ma franchise, comment suis-je traité par vous ? je ne trouve pas même à subsister dans mon propre pays, à moins que, comme les bêtes fauves, je ne ramasse ce que vous daignez laisser. Ces beaux palais, ces jardins, ces parcs immenses, que mon père m’avait laissés, et qui faisaient mes délices, je les vois brûlés et ravagés. Si j’ignore les principes de la justice divine et humaine, instruisez-moi, je vous prie : vos procédés sont-ils ceux de la reconnaissance ? »

Les trente Spartiates baissaient les yeux de honte. Après quelques momens de silence, Agésilas parla ainsi : « Pharnabaze, vous n’ignorez pas qu’il y a aussi dans les villes grecques des hommes unis entre eux par les liens de l’hospitalité. Lorsqu’elles sont en guerre, ces hommes, de concert avec leur patrie, n’attaquent-ils pas leurs propres amis ? ne les voit-on pas quelque fois s’entr’égorger ? Il en est de même de nous : dans la guerre que nous déclarons à votre roi, nous sommes forcés de regarder comme ennemis tous les pays de son obéissance ; cependant nous aurions fort à cœur de devenir vos amis.

« Si, vous attachant à nous, vous ne deviez que changer de maître, je ne vous ferais aucune proposition ; mais vous pouvez, en embrassant notre parti, jouir de vos possessions sans adorer personne, sans subir le joug d’un despote. Je vous propose, non de préférer la liberté aux richesses, mais de vous allier à Lacédémone pour que vous étendiez vos domaines et non ceux de votre souverain, pour que vous soumettiez vos compagnons de servitude et les rangiez sous vos ordres. Si vous deveniez à la fois riche et libre, que vous manquerait-il pour être parfaitement heureux ? »

« Eh bien, répondit Pharnabaze, je vais parler franchement. Cela est juste. Si le roi nomme un satrape, auquel il prétende m’assujettir, je voudrai être votre ami et votre allié ; mais s’il me confie le commandement de ses troupes, s’il me défère un titre qu’il est pardonnable d’ambitionner, alors je déploierai toutes mes forces contre vous. »

À ces mots, Agésilas, lui prenant la main : « Puisque vous avez une âme aussi belle, devenez notre ami, et sachez que je sortirai le plus tôt possible des terres de votre gouvernement ; et, par la suite, fussions-nous en guerre, tant que nous aurons un autre ennemi à combattre, nous respecterons et votre personne et ce qui vous appartient. »

Ainsi se termina l’entrevue. Pharnabaze, monté à cheval, se retirait, lorsqu’un fils, qu’il avait eu de Parapite, accourut vers Agésilas, et lui dit qu’il le faisait son hôte. « Eh bien ! je l’accepte. Souvenez-vous-en, ajouta le beau jeune homme ; » en même temps, il lui présenta un javelot précieux. Agésilas l’accepta ; et, généreux à son tour, il ôta au cheval de son secrétaire Idée les magni-