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murs et qu’un trophée fut dressé aux portes d’Haliarte. Lysandre fut tué, le reste de ses gens se sauvèrent sur la montagne, les Thébains les y poursuivirent vivement, en gravirent la cime, mais s’engagérent dans des détroits, dans des lieux impraticables. Les hoplites ennemis, faisant alors volte-face, firent une terrible décharge, en tuèrent deux ou trois des plus avancés, roulèrent des pierres d’en haut sur les autres, les pressèrent, les précipitèrent avec furie : la déroute fut telle, qu’il en périt plus de deux cents.

Les Thébains, découragés ce jour-là d’une défaite qu’ils croyaient égale à leur victoire, apprirent le lendemain que les Phocéens et tous les autres s’étaient pendant la nuit retirés chez eux. Ils reprenaient courage, lorsque tout à coup l’on voit arriver Pausanias avec l’armée du Péloponnèse. Ils se crurent de nouveau menacés d’un grand danger ; le silence, la consternation était générale.

Le lendemain, les Athéniens vinrent se ranger en bataille avec eux, sans que Pausanias parût et combattît ; leur courage alors se ranima.

Le roi de Lacédémone avait convoqué ses polémarques et ses commandans de pentécostes, et mettait en délibération s’il livrerait bataille, et si, à la faveur d’une trêve, il enlèverait le corps de Lysandre et ceux des autres guerriers tués avec lui. Pausanias et son conseil songeaient à la mort de Lysandre et à la déroute de son armée ; les Corinthiens refusaient formellement de les suivre, les troupes montraient peu d’ardeur, la cavalerie ennemie était puissante et la sienne faible ; d’ailleurs, les morts étaient sous les murs de la place : même vainqueurs, pourraient-ils les enlever, lorsque les tours étaient munies de gens de trait ? Par toutes ces considérations, il fut arrété qu’on demanderait une trêve pour enlever les morts. Les Thébains dirent qu’ils ne l’accorderaient pas à moins que l’on ne sortît de leur territoire. Cette condition fut acceptée avec empressement ; on enleva les morts et l’on sortit de la Bœotie. Les Lacédémoniens se retiraient tristes : les Thébains, fiers de leurs avantages, voyaient-ils un soldat de Pausanias s’écarter tant soit peu pour gagner une métairie, ils le remenaient au grand chemin en le frappant.

Telle fut l’issue de l’expédition des Lacédémoniens. De retour à Sparte, Pausanias fut accusé d’étre venu à Haliarte après Lysandre, lorsqu’il était convenu de s’y trouver le même jour ; d’avoir honteusement redemandé des morts qu’il pouvait enlever au vainqueur ; d’avoir laissé aller le peuple d’Athènes, lorsqu’il le tenait assiégé au Pirée ; enfin, de n’avoir pas comparu en justice. Il fut donc condamné à mort, mais il se réfugia à Tégée, ou il mourut de maladie. Voilà ce qui se passait alors en Grèce.


LIVRE IV.


CHAPITRE PREMIER.


Vers le commencement de l’automne, Agésilas entra dans la Phrygie, province de Pharnabaze. Il mit tout a feu et à sang, emporta de force une partie des villes et prit les autres par composition. Spithridate lui ayant dit que s’il voulait passer en Paphlagonie, il obtiendrait une conférence du roi des Paphlagoniens, et son alliance ; il entreprit le voyage d’autant plus volontiers, que depuis long-temps il souhaitait détacher cette nation de l’alliance du roi de Perse.

A son arrivée en Paphlagonie, Cotys alla au devant de lui, et devint son allié. Ce prince, mandé à la cour d’Artaxerxés, avait négligé de s’y rendre. A la persuasion de Spithridate, il fournit à Agésilas mille chevaux et deux mille peltastes. Reconnaissant de ces bons offices, le Lacédémonien demanda à Spithridate s’il donnerait sa fille à Cotys. Avec plus d’empressement, répondit-il, que ce prince puissant et maître d’un vaste pays n’en mettrait à épouser la fille d’un exilé. Agésilas n’en dit pas alors davantage. Mais comme Cotys, au moment de son départ, venait le saluer, Agésilas écarta Spithridate et entama la proposition du mariage en présence des trente Spartiates :

« Cotys, dites-moi, je vous prie, à quelle maison appartient Spithridate ? — A l’une des plus nobles de Perse. — Avez-vous remarqué comme son fils est beau ? — Comment ne l’aurais-je pas vu ! je soupai hier avec lui. — On dit qu’il a une fille plus belle encore ? — En vérité, elle est belle. — Vous voilà devenu notre ami ;