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Tissapherne, encouragé par la présence des troupes que lui avait envoyées le grand roi, fit ordonner à Agésilas de se retirer de l’Asie, et lui déclara la guerre en cas de refus. À cette nouvelle, les alliés et tous les Lacédémoniens qui étaient présens paraissaient consternés ; ils pensaient que leurs troupes ne tiendraient pas contre les forces imposantes du grand roi. Mais Agésilas, avec un visage riant, chargea les ambassadeurs de remercier Tissapherne de ce qu’il se rendait les dieux ennemis, en même temps qu’il les intéressait, par son parjure, à la cause des Grecs. Aussitôt il ordonna aux troupes de se tenir prétes à marcher, et aux villes qui se trouvaient sur le chemin de la Carie de préparer l’étape. Il enjoignait aussi aux Ioniens, aux Éoliens, aux Hellespontins, de lui envoyer pour cette expédition des troupes à Éphèse.

Tissapherne, considérant qu’Agésilas n’avait point de cavalerie, et qu’il n’en fallait pas pour combattre en Carie, le croyant d’ailleurs irrité de sa perfidie, s’attendait à le voir fondre sur les terres de sa résidence ; il y fit donc passer son infanterie tout entière, et répandit sa cavalerie dans les plaines du Méandre, persuadé qu’elle foulerait aux pieds celle d’Agésilas, avant d’être parvenue sur les montagnes. Mais Agésilas, laissant la Carie, tourna du côté opposé, entra dans la Phrygie, où il prit les villes qui étaient sur son passage, et fit, par cette irruption soudaine, un butin immense.

Il marcha quelque temps sans rencontrer d’ennemis ; mais non loin de Dascylie, ses cavaliers montèrent sur une colline, pour découvrir de plus loin. Le hasard voulut que la cavalerie de Pharnabaze, égale en nombre à celle des Grecs, et commandée par Rhathine et par Bagée, son frère naturel, montât sur la même colline. On se reconnut ; on n’était qu’à une distance de quatre cents pas ; d’abord on fit halte des deux côtés, la cavalerie grecque s’étant rangée en forme de phalange à quatre de hauteur sur un grand front. Les Barbares, au contraire, avec douze hommes seulement de front et un plus grand nombre de hauteur, vinrent les premiers à la charge ; bientôt on se mesura de près. Dans le choc, tous les Grecs rompirent leurs javelines. Mais les Perses, qui avaient des javelots en cornouiller, tuèrent d’abord douze cavaliers et deux chevaux. La cavalerie grecque était en déroute, lorsqu’Agis, s’avançant avec ses hoplites, fit reculer à son tour les Barbares, qui ne perdirent qu’un des leurs.

Le lendemain de cette escarmouche, Agésilas, voulant passer outre, offrit un sacrifice où les entrailles des victimes se trouvèrent dénuées de fibres : il retourna donc vers la mer. Convaincu que s’il ne possédait une bonne cavalerie, il ne pourrait s’avancer dans la plaine, il résolut de s’en procurer une pour n’être pas contraint de faire la guerre en fuyant. Il établit un rôle des plus riches habitans des villes circonvoisines, qui lui fourniraient des chevaux, en dispensant de marcher ceux qui donneraient un cavalier tout monté ; ce qui leur donna la même ardeur que s’il se fut agi de trouver quelqu’un qui voulût mourir pour eux.

Au retour du printemps, Agésilas rassembla toutes ses forces à Ephèse ; et pour les exercer, il proposa des prix, soit aux compagnies d’hoplites qui déploieraient le plus de vigueur, soit à celles de cavaliers qui excelleraient dans les évolutions. On promit aussi des récompenses aux peltastes et aux archers qui montreraient le plus d’aptitude à remplir leur devoir. C’était un plaisir de voir tous les gymnases remplis d’hoplites qui se disputaient de vigueur, l’hippodrome couvert de cavaliers occupés d’évolutions, les archers et les frondeurs s’exerçant dans la plaine. La ville entière offrait un spectacle intéressant. La place publique était fournie de chevaux et d’armes à vendre ; ouvriers en airain, charpentiers, forgerons, cordonniers, peintres, tous s’occupaient de l’équipage de guerre ; vous eussiez pris la ville pour une école de Mars. Ce qui surtout inspirait une nouvelle ardeur, c’était de voir Agésilas, suivi d’une foule de soldats sortant des gymnases, le front ceint de guirlandes qu’ils allaient suspendre aux voûtes du temple de Diane. Comment en effet, où les hommes honorent les dieux, où fleurit l’art militaire, où la discipline est en vigueur, comment ne concevrait-on pas les plus brillantes espérances ?

Pour redoubler la valeur des soldats par le mépris des ennemis, voici ce qu’il imagina : il ordonna à ses hérauts de dépouiller les Barbares pris par des corsaires, et de les vendre nus. Les soldats, qui les voyaient blancs parce que jamais ils ne quittaient leurs vêtemens, mais délicats et