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jeune homme d’un caractère entreprenant, n’était pas de la classe des égaux. Les éphores demandérent des détails au dénonciateur ; il leur raconta que Cinadon l’avait conduit au bout de la place et lui avait fait compter combien il s’y trouvait de Spartiates. Après en avoir nommé jusqu’à quarante en y comprenant le roi, les éphores et les sénateurs, je lui demandai à quoi servait ce calcul. Ces gens-là, me répondit-il, regarde-les comme tes ennemis ; les autres, au nombre de plus de quatre mille, sont à nous. Cinadon, ajoutait-il, avait fait remarquer ici un, là deux de ces ennemis que l’on rencontrait dans les rues ; il regardait les autres comme amis. Quant aux campagnes, si dans chacune d’elles nous avons un ennemi qui est le maître, nous y comptons aussi beaucoup de partisans.

Les éphores lui demandèrent à combien montait le nombre des complices. Les chefs, m’a encore répondu Cinadon, en comptent peu ; mais ils sont sûrs d’eux, ainsi que des hilotes, des néodamodes, des hypomiones et des périèces ; sitot qu’on parle d’un Spartiate aux hommes de ces différentes classes, ils ne peuvent cacher le plaisir qu’ils auraient à le manger tout vif. On lui demanda encore où ils comptaient prendre des armes. Cinadon lui avait dit que tous les conjurés en avaient ; ils l’avaient mené dans le quartier des forgerons, où il lui avait montré quantité de poignards, d’épées, de broches, de coignées, de haches et de faux pour la multitude. Cinadon mettait encore au nombre des armes, tous les instrumens des laboureurs, des maçons et des charpentiers ; les outils des autres artisans étaient aussi, selon lui, des armes suffisantes, surtout contre des gens désarmés. Quant au temps de l’exécution, il déclara qu’on lui avait commandé de se renfermer chez lui.

Sur ce rapport, qui portait avec lui l’évidence, les éphores consternés ne convoquèrent même pas la petite assemblée. Les sénateurs réunis à la hâte, ils résolurent d’envoyer Cinadon avec quelques autres jeunes gens à Aulone, en le chargeant d’amener prisonniers des Aulonites et des hilotes, désignés dans la scytale. Ils lui ordonnèrent en même temps de leur emmener une Aulonite d’une beauté accomplie, débauchant les Spartiates, jeunes un vieux, qui la voyaient. Cinadon avait déjà rempli de semblables missions.

On lui remit la scytale où étaient écrits les noms de ceux qui devaient être faits prisonniers. Quels jeunes gens, leur dit Cinadon, emmènerai-je avec moi ? Allez, lui répondit-on, vers le plus ancien hippagrète ; qu’il vous adjoigne six ou sept de ceux qui se trouveront présens. Ils avaient pris toutes les mesures pour que l’hippagrète sût quels hommes il devait lui donner, et que ces envoyés, de leur côté, n’ignorassent pas qu’il fallait saisir Cinadon. On dit encore à Cinadon qu’on lui enverrait trois chariots, pour lui épargner la peine d’amener à pied les prisonniers : le plus qu’il fut possible, on couvrit du voile du mystère des préparatifs dont il était l’unique objet. Ils ne l’arrêtaient pas dans la ville, parce qu’ils ne connaissaient pas encore la conjuration dans toute son étendue : ils voulaient savoir de Cinadon les noms de ses associés avant qu’ils sussent qu’ils étaient découverts, pour empêcher leur fuite. Ceux qu’on chargeait de l’arrêter devaient le garder, et quand ils auraient su de lui les noms des complices, les adresser au plus tôt aux éphores. Les éphores conduisirent cette affaire avec tant d’intelligence qu’ils envoyèrent une compagnie de cavalerie à la suite de celle qui faisait le voyage d’Aulone.

Cinadon pris, un cavalier vint apporter les noms donnés par le prisonnier lui-même. À l’instant le devin Tisamène et autres chefs de la faction furent arrêtés. Cinadon ramené, atteint et convaincu, avoua tout et nomma les conjurés ; on lui demanda ce qui l’avait excité à un tel complot : « Je ne voulais point de maître à Lacédémone. » Alors on lui passa les mains et le cou dans une pièce de bois ; on le fouetta, on le déchira, on le promena dans la ville, lui et ses complices. Ainsi furent punis les conspirateurs.


CHAPITRE IV.


Peu de temps après, Hérodas de Syracuse, qui était en Phénicie avec un pilote, vit quantité de galères phéniciennes dont les unes arrivaient tout équipées, les autres l’avaient été récemment sur le lieu même où l’on en construisait encore ; il apprit de plus que cette flotte serait de trois cents voiles. Il monta sur le premier vaisseau qui allait en Grèce et informa les Lacédémoniens de cet armement du roi de Perse