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et qu’elle séjournait près de Cyllène, un certain Xénias et ses complices espérant, comme on dit, mesurer l’argent au boisseau, en forçant les Éléens à se déclarer pour Lacédémone, sortirent d’une maison, l’épée nue, et tuérent entre autres un homme qui ressemblait à Thrasydée, magistrat suprême. Ils croyaient avoir tué Thrasydée lui-même. À cette nouvelle, le peuple, entièrement découragé, restait dans l’inaction : les meurtriers se croyaient les maîtres, et leurs complices transportaient les armes dans la place publique, tandis que Thrasydée dormait encore où le vin l’avait assoupi. Le peuple est bientôt instruit que Thrasydée n’est pas mort : on accourt de toutes parts à sa maison ; on se presse autour de lui, comme un essaim d’abeilles autour de son chef. Thrasydée se met à la tête de ses troupes, engage le combat et remporte la victoire. Les massacreurs se retirèrent de la ville au camp lacédémonien.

Agis, ayant traversé l’Alphée, laissa dans Épitale, place voisine de ce fleuve, les bannis d’Élide, et une garnison aux ordres de l’harmoste Lysippe ; il licencia ensuite l’armée et s’en alla à Sparte.

Le reste de l’été, et l’hiver suivant, Lysippe et ses soldats continuèrent les ravages de l’Élide. L’été suivant, Thrasydée députa à Lacédémone. Il consentait à ce que la ville d’Élis fût démantelée, et qu’on rendît libres Cyllène et d’autres places de la Triphylie, Phrixe, Épitale, Létrine. Amphidole, Margane, Acrore et Lasione, que revendiquaient les Arcadiens.

Les Éléens demandaient qu’on leur laissât Épée, qui est située entre Hérée et Maciste. ils disaient que les habitans d’alors leur avaient vendu le territoire trente talens, et qu’ils en avaient donné l’argent. Mais les Lacédémoniens, qui savaient qu’il n’est pas plus juste d’acheter de force que de prendre de force, les contraignirent de rendre aussi la liberté à la ville d’Épée. On ne leur ôta cependant pas l’intendance du temple de Jupiter Olympien, quoi qu’ils n’eussent pas le droit d’ancienneté. On pensait que de simples villageois étaient peu propres aux fonctions qu’ils réclamaient. À ces conditions, les Éléens et les Lacédémoniens conclurent paix et alliance. Ainsi finit cette guerre.


CHAPITRE III.


Agis alla ensuite à Delphes, où il offrit la dîme des dépouilles. A son retour, il était déjà vieux ; il tomba malade dans Hérée et fut transporté à Lacédémone, où il mourut bientôt. On lui rendit des honneurs plus qu’humains. Le nombre de jours prescrit par la loi s’étant écoulé, il s’agissait de donner un successeur au trône : Léotychide, se disant fils, et Agésilas, frère d’Agis, le disputèrent. Le premier disait que la loi y appelait le fils et non le frère du roi ; que le frère n’y avait droit qu’au défaut du fils. « Cela étant, il m’appartient donc, répartit Agésilas. — Comment, lorsque je vis encore ? — Parce que celui que tu appelles ton père, a dit que tu ne l’étais pas : ta mère, qui le sait mieux que lui, en convient à présent encore. Neptune dépose aussi contre ton imposture, lui qui, au vu et su de tout le monde, chassa ton père de sa chambre par un tremblement de terre. J’invoque de plus le témoignage du temps, qui, dit-on, ne manque jamais. Depuis l’époque de la fuite d’Agis, la chambre nuptiale ne l’a jamais vu, et tu es né dix mois après. »

Au milieu de ces débats, Diopithe cita à l’appui de Léotychide un oracle d’Apollon lui-même, qui exhortait à se garantir d’une royauté boiteuse. Lysandre répondit pour Agésilas, qu’il croyait, suivant le sens de l’oracle, que ce n’était pas un boiteux qu’il fallait exclure, mais un prétendant qui ne serait pas du sang royal ; que la royauté serait véritablement boiteuse dès qu’on aurait des rois étrangers à la race d’Hercule. Ces diverses raisons entendues, Agésilas fut élu roi.

La première année de son règne n’était pas encore écoulée, que, dans un sacrifice solennel qu’il offrait au nom de la république, le devin lui dit que les dieux lui annonçaient une des plus horribles conjurations. A l’ouverture de la seconde victime, les entrailles se montrèrent encore plus menaçantes. Au troisième sacrifice : « Agésilas, voilà l’ennemi, s’écrie-t-il. »

On sacrifia aux dieux sauveurs, aux dieux qui détournent les prodiges ; et l’on cessa les sacrifices aussitôt qu’on eut obtenu, quoique difficilement, des auspices favorables. Le cinquième jour, on vint dénoncer aux éphores cette conjuration et Cinadon, qui en était le chef. Cinadon,