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mande les trésoriers, les constitue ses prisonniers, leur dit que s’il était prouvé qu’ils eussent détourné quelque chose, leur tête en répondrait. Dès qu’on lui eut tout montré et qu’il eut tout vu, il ferma les portes, apposa les scellés et nomma des gardiens. En sortant, il dit aux taxiarques et aux autres officiers qu’il rencontra : « J’ai de quoi entretenir, près d’un an, une armée de huit mille hommes ; si nous faisons encore du butin, ce sera un surcroît de richesses. » Il savait que ces bonnes nouvelles les rendraient plus dociles et plus attachés à leurs devoirs. « Pour moi, lui dit Midias, quel sera le lieu de ma retraite ? — Celui que réclame la justice, Scepsis votre patrie, la maison de votre père. »


CHAPITRE II.


L’heureux Dercyllidas, vainqueur de neuf places en huit jours, délibérait sur les moyens de ne point incommoder les alliés en hivernant en pays ami, comme l’avait fait Thimbron, et d’empêcher que la cavalerie de Pharnabaze ne ravageât les villes grecques. Il fit demander à celui-ci s’il voulait la paix ou la guerre. L’Éolie était aux yeux de Pharnabaze une forteresse d’où le vainqueur pouvait ravager la Phrygie, lieu de sa résidence : il préféra donc une trêve. Dès qu’elle fut conclue, Dercyllidas alla prendre ses quartiers d’hiver dans la Thrace bithynienne, résolution qui n’inquiéta pas fort le satrape, avec qui les Bithyniens étaient souvent en guerre. Dercyllidas butinait en toute assurance ; ses troupes étaient toujours suffisamment approvisionnées.

Du fond de la Thrace, le roi Seuthès lui envoya cent cavaliers Odrysiens et trois cents peltastes, qui campèrent et se retranchèrent à vingt stades des Grecs. Ils demandèrent à Dercyllidas quelques hoplites pour garder leur camp, allèrent fourrager et firent un grand butin d’esclaves et de vivres. Déjà leur camp était rempli de prisonniers. Les Bithyniens, informés du nombre de Grecs qui étaient sortis, et de ce qui restait à la garde du camp, s’assemblent en grand nombre, tant peltastes que cavaliers, et fondent, à la pointe du jour, sur les hoplites, qui étaient environ deux cents. Ils approchent et font pleuvoir sur eux une gréle de traits et de dards. Les hoplites étaient blessés ; ils mouraient sans coup férir : une palissade de la hauteur d’un homme les enfermait ; ils la rompent, ils s’élancent sur l’ennemi, qui se dérobe aux coups. Des peltastes échappaient aisément à des hoplites : à droite, à gauche, ils lançaient des traits ; à chaque escarmouche ils en jetaient plusieurs sur le champ de bataille. Enfermés comme dans une étable, les deux cents guerriers furent tous tués, à la réserve de quinze hommes environ ; encore ne se sauvérent-ils au camp des Grecs que par une prompte retraite au premier moment du danger, et en s’échappant du champ de bataille sans être vus des Bithyniens.

Après cette vive action, les Bithyniens tuent les Odrysiens de Thrace, gardiens du bagage, recouvrent tout ce qu’on leur a pris et se retirent avec tant d’avantage, que les Grecs, instruits de ce qui se passe, accourent ; mais ils ne trouvent dans le camp que des cadavres dépouillés. Les Odrysiens de retour inhumérent leurs morts et en célébrèrent les funérailles par de fréquentes libations de vin et par des courses de chevaux ; ils unirent ensuite leur camp à celui des Grecs, puis désolèrent et incendièrent la Bithynie.

Au commencement du printemps, Dercyllidas partit de chez les Bithyniens pour venir à Lampsaque. Il y arrive : on lui annonce trois députés de Lacédémone, Aracus, Navate et Antisthène. Ils venaient voir l’état des affaires de l’Asie et lui prolonger le commandement pour un an. Les éphores, disaient-ils, les avaient encore chargés d’assembler les soldats et de leur déclarer qu’on n’était pas satisfait de leur conduite antérieure ; qu’on les louait de leur modération présente, mais qu’on ne souffrirait plus de violence à l’avenir ; qu’ils mériteraient bien de la patrie, s’ils traitaient les alliés avec justice. Le commandant des troupes de Cyrus répondit à ces plaintes : « Lacédémoniens, nous sommes ce que nous fûmes l’année dernière ; mais celui qui nous commande à présent n’est pas celui qui nous commandait alors. Pourquoi donc se loue-t-on aujourd’hui de notre modération, tandis qu’alors on se plaignait de nos emportemens ? C’est ce que vous êtes maintenant à portée de juger. »

Un jour que ces députés mangeaient chez Dercyllidas, quelqu’un de la suite d’Aracus lui dit qu’ils avaient laissé à Lacédémone des dépu-