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Ceux-ci disaient qu’ils croiraient trahir leur serment s’ils marchaient contre les Athéniens, qui n’avaient violé en rien la foi des traités. Ils coloraient leur refus de ce prétexte, pensant que les Lacédémoniens voulaient se rendre maîtres du territoire d’Athènes. Pausanias, qui commandait à l’aile droite, campa dans un lieu nommé Halipède, près du Pirée ; Lysandre était à l’aile gauche avec les troupes soudoyées.

Pausanias envoya l’ordre à ceux du Pirée de se retirer dans leurs maisons. Comme ils n’en voulurent rien faire, il approcha de leurs murs, fit une contenance menaçante pour qu’on ne se doutat pas des dispositions favorables qu’il leur portait. Il se retira sans que cet assaut eût rien produit ; mais le lendemain, suivi de deux mores lacédémoniennes et de trois compagnies de cavalerie athénienne, il approcha du port Muet pour examiner de quel côté il attaquerait le Pirée. Dans sa retraite, quelques assiégés accoururent et le harcelèrent. Hors de lui, il ordonne à sa cavalerie de les charger à toute bride, aux braves de la jeunesse de les accompagner ; lui-même il les suivit avec le reste des troupes. Ils tuèrent près de trente escarmoucheurs, et repoussèrent les autres jusqu’au théâtre du Pirée.

Là s’armaient tous les peltastes et les hoplites du Pirée ; aussitôt leurs coureurs s’avancent, lancent des traits, des flèches, des cailloux, atteignent avec la fronde. Les Lacédémoniens, serrés de près, et voyant plusieurs des leurs blessés, commencent à reculer : l’ennemi n’en poursuit qu’avec plus d’acharnement. Dans cette action périrent Chéron et Thibraque, tous deux polémarques, avec Lacratès, vainqueur aux jeux olympiques, et d’autres Lacédémoniens, qui furent inhumés aux portes du Céramique.

Thrasybule et ses hoplites, encouragés par ces succès, accoururent, et se rangèrent en bataille sur huit de hauteur. Pausanias, vivement pressé, recula quatre à cinq stades, jusqu’à une éminence ou il fit venir les Lacédémoniens et ses autres alliés, donna beaucoup de hauteur à sa phalange, et marcha contre les Athéniens. Ceux-ci soutinrent le premier choc ; mais ils furent bientôt après repoussés, les uns dans le marais de Hale, et les autres mis en fuite, avec perte de cent cinquante hommes.

Pausanias dressa un trophée et se retira. Supérieur à tout ressentiment, il fit secrètement avertir ceux du Pirée de lui dépêcher des députés, ainsi qu’aux éphores, et leur communiqua les instructions à suivre : le Pirée s’y conforma. Il sema aussi la division parmi ceux de la ville, et les pressa de venir en grand nombre vers les éphores, pour déclarer que rien n’obligeait à faire la guerre au Pirée, qu’il importait aux deux partis de se réconcilier et de devenir les amis de Sparte.

Nauclidas entendit volontiers ces discours. Cet éphore et un autre, qui accompagnaient le roi, selon la coutume, et qui goùtaient plus l’avis de Pausanias que celui de Lysandre, envoyèrent donc à Lacédémone. Ils chargèrent de la négociation les députés du Pirée, des particuliers de la ville, avec Céphisophon et Mélite. Quand ils furent partis, les gouvernans, de leur côté, envoyèrent une députation dire à Sparte qu’ils mettaient à leur discrétion leurs murs et leurs personnes ; qu’il leur semblait juste que le Pirée, qui se disait ami des Lacédémoniens, livrât le Pirée et Munychie.

Les éphores et toute l’assemblée, après avoir entendu ces propositions, envoyérent quinze députés à Athènes, avec plein pouvoir d’arranger les affaires pour le mieux, de concert avec Pausanias. L’accord fut conclu aux conditions qu’ils vivraient tous en paix, qu’ils se retireraient chacun dans leur maison, excepté les Trente, les onze et les dix qui avaient commandé au Pirée ; que ceux qui ne se croiraient pas en sûreté dans la ville se retireraient dans Éleusis. La négociation terminée, Pausanias ramena ses troupes : ceux du Pirée montèrent armés à la forteresse et sacrifièrent à Minerve. Lorsque les généraux en furent descendus, Thrasybule prononça ce discours :

« Citoyens qui n’avez pas quitté la ville, je vous conseille d’apprendre à vous connaître vous-mêmes. Or vous y parviendrez, si vous examinez ce qui pourrait vous donner de l’orgueil, et en vertu de quoi vous prétendriez nous commander. Serait-ce pour votre intégrité ? Mais la classe laborieuse vous a-t-elle jamais persécutés pour envahir vos biens ? Et vous, pour un vil intérêt, vous commettez mille crimes honteux. Vous prévaudriez-vous de votre valeur ? Mais peut-on mieux la juger que par l’issue de nos combats ? Direz-vous que vous nous surpassez en intelligence, vous qui, avec des murailles, des armes