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Lacédémone, la ratification du traité ne dépendant point de lui, mais des éphores. Sur cela, Théramène fut nommé, lui dixième, pour aller à Lacédémone, avec plein pouvoir. Cependant Lysandre envoya aux éphores une députation de Lacédémoniens, ayant avec eux Aristote, exilé d’Athènes. Il avait dit à Théramène que les éphores étaient arbitres de la paix et de la guerre, et il les en prévenait.

Théramène et ses collègues arrivent à Sellasie ; on les interroge sur l’objet de leur mission ; ils déclarent qu’ils ont plein pouvoir de traiter de la paix. Les éphores ordonnent de les introduire dans l’assemblée : ils entrent. Des Corinthiens, des Thébains surtout et beaucoup d’autres Grecs, sentiment qu’il fallait non faire la paix avec les Athéniens, mais les exterminer.

Les Lacédémoniens, au contraire, déclarèrent qu’ils ne détruiraient jamais une ville qui, dans les circonstances les plus critiques, avait si bien mérité de la Grèce. La paix fut donc conclue, aux conditions qu’on démolirait les fortifications du Pirée et les longs murs qui joignaient le port à la ville ; que les Athéniens livreraient toutes leurs galères à la réserve de douze ; qu’ils rappelleraient leurs exilés et feraient ligue offensive et défensive avec les Lacédémoniens, s’engageant à les suivre par terre et par mer.

Les députés retournèrent à Athènes. A leur entrée, une foule innombrable les assiège : on appréhendait qu’il n’y eût rien de conclu ; on ne pouvait plus tenir, la famine exerçait ses ravages. Le lendemain, les députés annoncent à quelle condition les Lacédémoniens font la paix. Théramène, qui portait la parole, leur dit qu’il fallait obéir et abattre les murs. Quelques-uns ouvrent un avis contraire, mais la majorité se déclarant pour Théramène, on décida que la paix serait acceptée. Lysandre alla ensuite au Pirée, suivi des bannis ; les murs furent démolis au son des flûtes : l’allégresse était générale ; ce jour semblait pour tous les Grecs l’aurore de la liberté.

Ainsi finit cette année, au milieu de laquelle Denys de Syracuse, fils d’Hermocrate, saisit les rênes de l’empire, après une défaite des Carthaginois, qui avaient pris auparavant Agrigente, abandonnée des Siciliens, faute de vivres.


CHAPITRE III.


L’année suivante, que l’on appelle anarchique, la première de l’olympiade où Crocinas, Thessalien, remporta le prix du stade, sous l’éphorat d’Eudique à Sparte, sous l’archontat de Pythodore, que les Athéniens ne nomment pas parce qu’il fut élu sous les Trente, l’oligarchie s’établit ainsi. Le peuple décida qu’on élirait trente citoyens qui rédigeraient les lois, base d’un nouveau gouvernement. On élut Polyarchès, Critias, Mélobius, Hippoloque, Euclide, Hiéron, Mnésiloque, Chrémon, Théramène, Arésias, Dioclès, Phédrias, Chérélée, Anétie, Pison, Sophocle, Ératosthène, Chariclès, Onomaclès, Théognis, Æschine, Théogène, Cléomède, Érasistrate, Phidon, Dracontide, Eumathe, Aristote, Hippomaque, Mnésithide. L’élection faite, Lysandre marcha contre Samos ; Agis ramena de Décélie son infanterie, et licencia les troupes alliées.

A la même époque, remarquable par une éclipse de soleil, le Phéréen Lycophron se rendit maître absolu de la Thessalie, après un combat sanglant, où furent vaincus ceux des Thessaliens qui s’opposaient à ses projets, les Larisséens et d’autres.

Dans le même temps encore, Denys, tyran de Sicile, perdit une bataille contre les Carthaginois, qui lui enlevèrent Gèle et Camarine. Peu après, les Léontins quittérent Denys et les Syracusains, pour se rétablir dans leur ville ; aussitôt Denys envoya de la cavalerie après eux jusqu’à Catane.

Cependant ceux de Samos, pressés de tous côtés par Lysandre, commençaient à délibérer sur un projet de capitulation, lorsqu’ils virent ce général sur le point de les forcer. Ils se rendirent donc, à condition que chaque homme libre emporterait un habit ; le reste serait à la discrétion du vainqueur. Ils sortirent en cet état. Lysandre rendit à la ville ses anciens habitans, leur donna tout ce qui s’y trouvait, y établit un régime décemviral, puis congédia la flotte des alliés. Pour lui, il retourna à Sparte avec les vaisseaux lacédémoniens et ceux du Pirée, à l’exception de douze, emportant les éperons de tant d’autres qu’il avait pris, les couronnes dont les villes avaient en particulier honoré son courage, quatre cent soixante-dix talens, qui restaient des revenus que lui avait assignés Cyrus pour les frais de la guerre, sans parler du butin