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n’avaient point enlevé les corps des braves défenseurs de la patrie.

Quelques-uns accusèrent Callixène comme auteur d’un décret contraire aux lois ; l’accusation fut appuyée par Euryptoléme, fils de Pisianax, et quelques autres. Alors on s’écrie qu’il est affreux d’ôter au peuple le pouvoir de faire ce qu’il veut. Si l’on ne laisse pas à l’assemblée tous ses droits, ajoute Lycisque, que l’on comprenne les opposans dans le même jugement que les généraux. Nouveau tumulte de la multitude : Euryptolème et ses partisans se désistent de leur poursuite contre Callixène. Cependant les prytanes protestent qu’ils ne souffriront pas un mode de voter contraire à la loi : Callixène remonte à la tribune pour les envelopper dans la condamnation des généraux. « Décret d’accusation contre les opposans ! s’écrie-t-on. Les prytanes consternés consentent tous au mode de voter, excepté Socrate, fils de Sophronisque : ce sage déclara qu’il ne s’écarterait point de la loi. Euryptoléme alors montant a la tribune, parla ainsi en faveur des généraux :

« Athéniens, leur dit-il, Diomédon et Périclès sont tous deux mes amis ; le dernier est mon parent : je parais à cette tribune pour leur faire quelques reproches, pour les justifier si je puis, et pour vous donner le conseil qui me semble le plus conforme à l’intérêt de toute la république.

« Je reproche aux accusés d’avoir dissuadé leurs collègues, qui voulaient informer le sénat et le peuple, que Théramène et Thrasybule, chargés par eux de recueillir avec quarante-sept vaisseaux les morts et les débris, n’avaient pas rempli leur mission. Ils subissent maintenant une accusation en commun pour la faute de ces deux hommes : punis de leur faiblesse, ils courent risque de succomber eux-mêmes aux intrigues des coupables et de leurs partisans. Mais non, Athéniens, non, ils ne succomberont pas, si vous m’en croyez, si vous respectez les lois divines et humaines, moyen salutaire pour connaître la vérité, et pour vous épargner le tardif repentir d’un attentat commis envers les dieux et envers vous. Il est un moyen que je vous conseille, pour que personne ne soit trompé, pour que vous punissiez avec connaissance de cause, et à votre gré, ou tous les accusés ensemble, ou chacun d’eux en particulier : donnez-leur seulement un jour pour leur défense ; ne vous fiez pas à l’animosité de vos ennemis plus qu’à votre propre équité.

« Vous le savez tous, Athéniens, il existe un sévère décret de Cannon, qui porte qu’un accusé du crime de lèse-nation se défendra, chargé de fers, en présence du peuple ; que s’il est condamné, il sera puni de mort, son corps jeté dans le barathrum, ses biens confisqués, et la dixième partie consacrée à Minerve. Je demande que les généraux soient jugés suivant ce décret, et même mon parent Périclès tout le premier, si vous le trouvez bon ; car je rougirais de préférer ce parent à la patrie. Jugez-les, si vous voulez, d’après la loi établie contre les sacriléges et les traîtres. Elle porte que quiconque aura trahi la république ou volé les choses saintes, sera jugé par un tribunal ; que s’il est condamné, il sera inhumé hors de I’Attique et ses biens confisqués. Que chacun des accusés soit jugé d’après celle de ces deux lois qui vous plaira. On divisera le jour en trois parties : dans la première, vous vous rassemblerez pour prononcer s’il y a lieu à accusation ou non ; la seconde sera pour entendre les charges ; la troisième pour la défense. En suivant cette marche, les coupables subiront un terrible châtiment ; les innocens absens ne périront pas victimes de l’injustice : vous, Athéniens, vous jugerez d’après la loi et selon votre conscience, et vous ne combattrez pas pour les Lacédémoniens, en faisant périr contre la loi et sans jugement des hommes qui les ont vaincus et qui leur ont enlevé soixante-dix vaisseaux.

« Qui vous force à tant de précipitation ? craignez-vous de ne pouvoir perdre ou absoudre à votre gré si vous jugez légalement, et non selon le vœu de Callixène, qui a déterminé le sénat à proposer au peuple le décret portant qu’ils seront compris dans un seul et même jugement ? Si par hasard vous condamniez à mort un seul innocent, et qu’il vous arrivât de vous en repentir, réfléchissez combien votre erreur serait inutile et triste : que serait-ce si elle tombait sur des hommes tels que vos généraux ? Quoi ! un Aristarque, qui d’abord abolit la démocratie, qui ensuite livra Oénoé aux Thébains vos ennemis, aura obtenu de vous un jour pour sa défense et les autres privilèges de la loi, et vous commettriez la criante injustice de les refuser à des généraux qui ont comblé vos vœux et vaincu l’ennemi ! Non, Athéniens, non ; mais vous res-