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niens, et les contraindrait à la levée du siège.

Mais Cléarque était à peine en mer que la place fut livrée par Cydon, Ariston, Anaxicrate, Lycurgue et Anaxilaüs, tous Byzantins. Ce dernier, mis depuis en jugement à Sparte pour ce fait, échappa à la peine de mort, sous prétexte qu’il n’était pas Lacédémonien, mais Byzantin. Loin de mériter le nom de traître, il avait, au contraire, sauvé son pays, où la famine moissonnait sous ses yeux les femmes et les enfans, tout le blé de la ville étant distribué par Cléarque aux troupes lacédémoniennes. Dans cet état de choses, il avait introduit l’ennemi sans intérêt personnel, comme sans animosité, contre Lacédémone.

Les mesures prises, les conjurés avaient ouvert, pendant la nuit, les portes de Thrace et introduit Alcibiade avec son armée. Hélixus et Cyratadas, qui n’étaient instruits de rien, étaient accourus avec toutes leurs troupes dans la place publique : ils trouvent les issues occupées par l’ennemi ; toute résistance est vaine, ils se rendent. On les conduisit à Athènes ; mais à la descente au Pirée, Cyratadas échappa dans la foule, et s’enfuit à Décélie.


CHAPITRE IV.


Cependant Pharnabaze et les ambassadeurs reçurent dans leurs quartiers d’hiver, à Gordium, ville de Phrygie, les nouvelles de Byzance. Au commencement du printemps, comme ils allaient en Perse, ils rencontrèrent les députés lacédémoniens qui en revenaient : Béotius était chef de l’ambassade. Ils leur racontèrent qu’ils avaient obtenu du grand roi tout ce qu’ils demandaient ; que Cyrus avait le commandement de toutes les provinces maritimes, avec ordre de secourir les Lacédémoniens ; que ce prince apportait une lettre munie du sceau royal : elle était adressée à tous les habitans de l’Asie inférieure, et contenait ces mots entre autres : « J’envoie Cyrus dans les pays bas de l’Asie, pour être le caranus des troupes rassemblées dans le Castole. » Or le mot caranus signifie souverain.

D’après cette nouvelle, confirmée par la présence de Cyrus, les députés athéniens désiraient impatiemment d’aller en Perse, ou, en cas d’opposition, de retourner dans leur patrie ; mais Cyrus fit dire à Pharnabaze de lui livrer les ambassadeurs, ou de s’opposer à leur retour dans leur patrie. Il craignait que les Athéniens ne fussent informés de ce qui se passait. Pharnabaze, par ménagement pour Cyrus, les retint tout le temps nécessaire, disant tantôt qu’il les accompagnerait jusqu’à la cour du grand roi, tantot qu’il les renverrait à Athènes ; mais au bout de trois ans, il supplia Cyrus de les congédier, en lui représentant qu’il avait juré de les reconduire jusqu’à la mer s’ils n’allaient point en Perse. On les envoya donc à Ariobarzane, qui reçut ordre de les accompagner jusqu’à Chio, ville de Mysie, d’où ils allèrent par mer rejoindre l’armée.

Alcibiade, voulant retourner avec ses troupes à Athènes, fit voile vers Samos, où il recueillit vingt navires, et cingla jusqu’au golfe Céramique, en Carie, d’où il revint dans cette île avec cent talens de contributions. Thrasybule avec trente navires alla en Thrace, et reprit les places qui avaient quitté le parti des Athéniens, entre autres Thase, que la guerre, les factions et la famine avaient cruellement maltraitée. Thrasyle fit voile vers Athènes avec le reste de la flotte. Avant son arrivée, les Athéniens avaient élu trois généraux, Alcibiade banni, Thrasybule absent, et Conon, qui se trouvait dans la ville.

Alcibiade, avec ses vingt galères et son argent, vogua de Samos à Paros. De là, il se rendit à Gythie, pour épier les trente galères qu’il avait appris que les Lacédémoniens y armaient, et pour juger du moment favorable à son retour dans sa patrie, et des dispositions de ses concitoyens à son égard. Dès qu’il vit qu’elles lui étaient favorables, qu’on l’avait élu général, et que ses amis en particulier le rappelaient, il aborda au Pirée, à la fête des Plyntères, jour où l’on voile la statue de Minerve ; circonstance que plusieurs jugèrent de mauvais augure et pour lui et pour son pays. En effet, nul Athénien, ce jour-là, n’oserait entreprendre une affaire sérieuse.

Cependant tout le peuple, tant du Pirée que de la ville, accourait, se pressait sur le rivage, voulait voir Alcibiade. Les uns l’appelaient la gloire de son pays : lui seul s’était justifié d’un décret d’exil. Quoique victime d’une faction d’hommes nuls, misérables orateurs, qui gouvernaient d’après leur utilité et leur intérêt personnel, avec quel zèle on l’a vu travailler à l’accroissement de son pays, et joindre aux ressources publiques ses propres moyens ! Ac-