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difficile projet d’abolir la liberté dont le peuple d’Athènes jouissait depuis près d’un siècle, à compter de l’expulsion des tyrans[1], non-seulement sans connaître l’obéissance, mais encore accoutumé, depuis le milieu de cette période, à commander aux autres.

LXIX. Après que ces arrangemens eurent été confirmés sans aucune contradiction, l’assemblée se sépara, et les quatre-cents furent introduits dans le conseil de la manière que je vais rapporter. Tous les Athéniens, dans la crainte des ennemis qui étaient à Décélie, restaient toujours en armes, les uns sur le rempart, les autres aux corps de réserve. On laissa partir, ce jour-là, comme à l’ordinaire, ceux qui n’étaient pas de la conjuration ; mais on avait averti en secret les conjurés de ne pas se rendre aux postes, et de s’en tenir tranquillement éloignés. S’il survenait quelque insurrection contre ce qui se passait, ils prendraient les armes pour la réprimer. C’étaient des gens d’Andros et de Ténos, trois cents Carystiens, et de ces hommes qu’Athènes avait envoyés peupler Égine et y former une colonie. Ils étaient venus armés à ce dessein, suivant l’ordre qu’ils avaient reçu. Eux ainsi disposés, les quatre-cents partirent, chacun armé d’un poignard qu’il tenait caché. Ils étaient accompagnés de cent vingt jeunes Grecs, dont ils se servaient quand ils avaient besoin d’un coup de main. Ils surprirent au conseil les sénateurs de la fève, et leur ordonnèrent de sortir, en recevant leur salaire. Ils avaient apporté avec eux la somme qui leur restait due, et la leur distrihuèrent, à mesure que ceux-ci quittaient le tribunal.

LXX. Les sénateurs se retirèrent sans rien répliquer, les autres citoyens ne firent aucun mouvement, et tout resta tranquille. Les quatre-cents entrèrent dans le conseil, ils tirèrent entre eux des prytanes au sort, et firent l’inauguration de leur magistrature avec les prières et les cérémonies d’usage pour ceux qui entrent en charge. Ayant fait ensuite de grands changemens au régime populaire, mais sans rappeler les exilés, à cause d’Alcibiade, ils gouvernèrent la république de leur pleine autorité. Ils firent mourir quelques personnes, mais en petit nombre, et seulement celles dont ils croyaient avoir besoin de se défaire ; ils en mirent d’autres aux fers ; ils en envoyèrent en exil. Ils firent aussi déclarer par un héraut à Agis, roi de Lacédémone, qui était à Décélie, qu’ils ne demandaient qu’à en venir à une réconciliation, et qu’on avait lieu d’attendre qu’il ne refuserait pas d’entrer en accord avec eux, sans les confondre avec une populace qui ne méritait aucune confiance.

LXXI. Ce prince ne croyait pas que la ville restat dans le calme, ni que le peuple pût trahir sitôt son ancienne liberté. Il pensait qu’en voyant paraître une nombreuse armée de Lacédémoniens, il ne se tiendrait pas en repos, et il ne pouvait même se persuader que, dans la circonstance, il ne fût pas dans l’agitation. Il ne répondit donc à ceux que lui envoyaient les quatre-cents, rien qui tendît à un accord ; mais il avait déjà mandé du Péloponnèse une armée respectable ; et peu de temps après, joignant à ce renfort la garnison de Décélie, il s’approcha des murailles. Il espérait que, dans le trouble où se trouvaient les Athéniens, ils se soumettraient aux conditions qu’il voudrait leur faire, ou que même il prendrait d’emblée une ville qui, du dedans et du dehors, serait apparemment plongée dans le tumulte ; car il ne pourrait manquer d’enlever les longues murailles qui se trouvaient abandonnées. Mais quand il vint aux approches, les Athéniens ne firent pas dans la place le moindre mouvement ; ils se contentèrent de faire sortir la cavalerie, un peu d’hoplites, des troupes légères et des gens de traits, renversèrent ceux des ennemis qui s’étaient trop avancés, et restèrent maîtres des corps et des armes de quelques-uns des morts. Agis, ne voyant pas l’événement répondre à ses espérances, retira ses troupes. Il demeura tranquille avec son monde à Décélie, et peu de jours après, il renvoya le renfort[2]. Les quatre-cents ne laissèrent pas ensuite de négocier encore avec lui ; il fit alors à ceux qu’on lui députait un meilleur accueil, et ce fut d’après ses conseils qu’ils expédièrent pour Lacédémone des députés, dans l’intention d’en venir à un traité de paix.

LXXII. lis envoyèrent aussi dix hommes à Samos[3] pour tranquilliser l’armée, et lui faire entendre que ce n’était pas dans des intentions

  1. Il y avait quatre-vingt-dix-huit ans qu’Hippias avait été chassé, la troisième année de la soixante-septième olympiade, cinq cent dix ans avant l’ére vulgaire.
  2. A la fin de mars.
  3. Après le 27 février.