Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/281

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gation d’escorter une flotte de cette importance, pour lui mieux assurer l’empire de la mer, et de mettre au-dessus du hasard la traversée des hommes qui venaient éclairer sa conduite. Il renonça donc à son voyage de Chio et fit voile pour Caune. Tout en faisant route, il descendit à Cos, dans la Méropide, et rasa la ville qui n’était pas murée : elle avait été ruinée par un tremblement de terre, le plus grand dont nous ayons conservé le souvenir. Les hommes s’étaient réfugiés sur les montagnes. Il fit des courses dans la campagne et enleva tout, excepté les personnes de condition libre qu’il relâcha. De Cos, il arriva de nuit à Cnide, et fut obligé, par les avis des habitans, de ne pas mettre à terre les équipages, et de voguer droit aux vingt bâtimens d’Athènes que commandait Charminus. C’était l’un des généraux de Samos, et il épiait ces mêmes vaisseaux du Péloponnèse au devant desquels allait Astyochus. La nouvelle de leur expédition était venue de Milet à Samos, et Charminus croisait aux environs de Symé, de Chalcé, de Rhodes et de Lycie ; car déjà il avait appris qu’elle était à Caune.

XLII. Astyochus cingla donc aussitôt vers Symé, avant qu’on pût entendre parler de lui, pour tâcher d’intercepter la flotte en haute mer. Mais il survint de la pluie, un temps couvert ; le désordre se mit dans la flotte, elle s’égara dans les ténèbres, et au lever de l’aurore, elle était dispersée. L’aile gauche fut aperçue des Athéniens, tandis que l’autre errait autour de l’île. Charminus et ses gens, avec moins de vingt vaisseaux, se portèrent aussitôt sur ces navires qu’ils regardèrent comme ces mêmes vaisseaux de Caune qu’ils guettaient. Ils attaquent à l’instant, en coulent trois à fond, en mettent d’autres hors de combat, en un mot ils étaient vainqueurs, quand parut inopinément la plus grande partie de la flotte. Entourés de toutes parts, ils prirent la fuite, perdirent six vaisseaux, et se réfugièrent, avec le reste, dans l’île de Teutlusse, d’où ils gagnèrent Halicarnasse. Les Péloponnésiens, qui avaient relâché à Cnide, se joignirent aux vingt-sept vaisseaux de Caune, ne formèrent plus qu’une seule flotte, et après avoir dressé un trophée à Symé, rentrèrent dans le port de Cnide.

XLIII. Les Athéniens, à la nouvelle de ce combat naval, allèrent à Symé avec toute leur flotte ; mais ils n’attaquèrent pas celle de Cnide et n’en furent pas attaqués. Ils prirent à Symé tous les agrès des vaisseaux, insultèrent Lorymes sur le continent et retournèrent à Samos. On radoubait à Cnide tous les vaisseaux qui avaient besoin de quelque réparation. Tissapherne y était, et les onze Lacédémoniens eurent avec lui des conférences sur ce qui s’était passé, lui faisant des plaintes sur ce qui ne leur plaisait pas, et cherchant les moyens de bien faire la guerre qu’on allait soutenir, et d’en diriger les opérations au plus grand avantage des deux puissances. Lichas s’attachait surtout à examiner ce qui s’était fait, et trouvait les deux traités vicieux, même celui de Théramène. Il ne pouvait souffrir que le roi prétendit conserver désormais les pays qu’avaient autrefois possédés son père ou ses ancêtres. Il lui serait donc permis de tenir dans l’esclavage toutes les îles, la Thessalie, Locres et jusqu’à la Bœotie ; et les Lacédémoniens, au lieu de délivrer la Grèce, la mettraient tout entière sous la domination des Mèdes. Il voulait qu’on fît un nouvel accord mieux conçu, ou qu’on regardât comme nuls ceux qui avaient été faits, et qu’on ne reçût pas le subside à de telles conditions. Tissapherne fut indigné. Il se retira de colère, sans avoir rien conclu.

XLIV. Les Lacédémoniens résolurent d’aller à Rhodes, où les principaux de la république les faisaient appeler par l’organe d’un héraut. Ils comptaient unir à leur parti cette île puissante, riche en troupes de terre et de mer, et se croyaient, au moyen de cette alliance, en état d’entretenir leur flotte, sans demander des subsides à Tissapherne. Ils mirent donc à la voile de Cnide cet hiver même, et abordèrent avec quatre-vingt-quatorze vaisseaux à Camire, la première place des Rhodiens. Bien des gens, ne sachant rien de ce qui se passait, furent effrayés et prirent la fuite, d’autant plus épouvantés que c’était une ville ouverte. Les Lacédémoniens convoquèrent les habitans, et ceux de deux autres villes rhodiennes, Linde et Iélyse, et leur persuadèrent d’abjurer l’alliance d’Athènes. Rhodes embrassa la cause des Lacédémoniens. Les Athéniens, instruits de ce qui se passait, mirent à la voile de Samos, dans l’intention de prévenir leurs ennemis, et parurent au large. Mais ils arrivèrent un peu trop tard, se retirèrent aussitôt à Chalcé, et de là à Samos. Ensuite