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alliés de Sicile, avec une puissance formidable, obligés, par la nécessité même, d’unir leurs vaisseaux à ses flottes. De toutes parts, flattée des plus belles espérances, elle croyait devoir, sans hésiter, reprendre les armes. Elle se représentait que cette guerre heureusement terminée, elle serait à l’abri, pour l’avenir, des dangers qu’elle aurait éprouvés de la part des Athéniens, s’ils avaient ajouté la domination de Sicile à leur puissance, et que, les détruisant eux-mêmes, elle deviendrait paisiblement la dominatrice de toute la Grèce.

III. Agis, dans ce même hiver[1], partant de Décélie avec quelques troupes, recueillit, pour l’entretien de la flotte, les contributions des alliés. Il gagna le golfe de Malée, fit un grand butin sur les Œtæens, anciens ennemis de sa nation, et le convertit en argent ; il obligea aussi à lui donner des otages, et à payer des contributions pécuniaires, les Phthiotes achéens, et les autres peuples de cette contrée, sujets de la Thessalie, quoique les Thessaliens se plaignissent de ces attentats, et ne les souffrissent qu’avec peine. Il déposa les otages à Corinthe, et tâcha d’obtenir l’alliance de cette république. Les Lacédémoniens soumirent les villes à construire cent vaisseaux. Ils s’obligèrent eux-mêmes à en fournir vingt-cinq, ainsi que les Bœotiens, et en demandèrent quinze aux Phocéens, le même nombre aux Arcades, aux Pelléniens et aux Sicyoniens, dix aux Mégariens, aux Trézéniens, aux Épidauriens et aux Hermioniens. Ils firent tout le reste de leurs dispositions, pour ne pas tarder d’ouvrir la campagne dès l’entrée du printemps.

IV. Les Athéniens[2], comme ils l’avaient résolu, se procurèrent aussi, pendant l’hiver, des bois de construction, mirent des vaisseaux sur le chantier, et fortifièrent Sunium, pour que les bâtimens qui leur apportaient des subsistances pussent traverser sans danger. Ils abandonnèrent le fort qu’ils avaient élevé dans la Laconie, lorsqu’ils étaient passés en Sicile, et tout ce qui leur paraissait entraîner des dépenses superflues, se réduisant à l’épargne, et portant surtout leur attention du côté des alliés, dans la crainte qu’ils ne se livrassent à la défection.

V. Pendant qu’on s’occupait ainsi de part et d’autre, et qu’on se livrait aux apprêts de la guerre avec la même ardeur que si l’on n’eût fait que la commencer, les peuples de l’Eubée, dans cet hiver même, furent les premiers à traiter avec Agis pour se détacher des Athéniens. Il accueillit leur proposition, et fit venir de Lacédémone, pour les commander, Alcamène, fils de Sténélaïdas, et Mélanthe. Ils arrivèrent, amenant avec eux environ trois cents néodamodes. Agis travaillait à leur préparer le passage, quand les Lesbiens se présentèrent aussi dans le dessein de se soulever contre Athènes. Les Bœotiens étaient d’intelligence avec eux, et Agis, a leur sollicitation, convint de suspendre ses desseins sur l’Eubée, et fit les dispositions nécessaires pour favoriser la défection des Lesbiens. Il leur donna, pour diriger leur dessein, Alcamène qui allait faire voile pour l’Eubée. C’était sans prendre les ordres de Lacédémone qu’il conduisait ces affaires ; car tout le temps qu’il occupa Décélie, il fut maître, avec les forces qui lui étaient confiées, d’envoyer des troupes partout où il voulut, d’en faire des levées, et d’exiger des contributions en argent. On peut dire qu’à cette époque les alliés lui obéissaient bien plus qu’aux Lacédémoniens de Sparte ; car, avec la puissance qu’il avait à ses ordres, on le craignait partout. Il embrassa les intérêts des Lesbiens. Les habitans de Chio et d’Érythres, qui n’étaient pas moins disposés à la défection, ne s’adressèrent point à lui, mais à Lacédémone. Un ambassadeur était avec eux de la part de Tissapherne, qui gouvernait les provinces maritimes au nom de Darius, fils d’Artaxérxès. Tissapherne excitait à la guerre les Péloponnésiens, et promettait de fournir la subsistance de l’armée[3]. Le roi venait de lui demander les tributs arriérés de sa satrapie, que les Athéniens ne lui avaient pas permis de faire payer aux villes grecques. Il espérait toucher plus aisément des contributions, quand il aurait abaissé la puissance d’Athènes, amener les Lacédémoniens à l’alliance du roi, et lui envoyer, mort ou vif, suivant l’ordre de ce prince, Amorgès, bâtard de Pissuthnès, qui s’était livré à la rébellion dans la Carie. Les habitans de Chio et Tissapherne agirent eu cela de concert.

  1. Un peu après le 13 octobre.
  2. Après le 13 octobre.
  3. Après le mois de janvier, et avant le 7 avril.