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par quelque événement, et comptaient bien, sans changer de manœuvre, vaincre les ennemis et s’en rendre maîtres.

LXXXII. Ils tirèrent de tous côtés pendant le jour. Quand enfin Gylippe et les Syracusains virent les ennemis accablés de blessures et de fatigue, ils envoyèrent offrir la liberté à ceux des insulaires qui voudraient passer de leur côté. Il y en eut de quelques villes qui passèrent, mais en petit nombre. Il se fit ensuite une convention avec tout le reste de l’armée. Les soldats devaient remettre leurs armes, et l’on s’engageait à leur laisser la vie, sans pouvoir y attenter ni par des moyens violens, ni par les chaînes, ni par le refus du plus absolu nécessaire. Tous se rendirent au nombre de six mille ; ils livrèrent tout l’argent qu’ils avaient, le jetèrent dans des boucliers, et en remplirent quatre. On les conduisit aussitôt à la ville. Nicias et ses troupes parvinrent le même jour au fleuve Érinéum, gagnèrent une hauteur et y campèrent.

LXXXIII. Les Syracusains l’atteignirent le lendemain[1] ; ils lui apprirent que Démosthène s’était rendu, et l’engagèrent à suivre cet exemple ; mais il ne voulait pas croire ce rapport, et il obtint la permission d’envoyer un cavalier s’en assurer. Quand cet homme, à son retour, le lui eut confirmé, il fit déclarer à Gylippe et aux Syracusains, par un héraut, qu’il était prêt à stipuler au nom d’Athènes qu’elle leur rembourserait les frais de la guerre, à condition qu’ils laisseraient partir son armée. Il convenait de leur donner en otages, jusqu’au paiement de la somme, des citoyens d’Athènes, un homme par talent. Les Syracusains et Gylippe n’acceptèrent pas cette proposition ; ils attaquèrent les Athéniens, les enveloppèrent et tirèrent sur eux jusqu’au soir. Ceux-ci souffraient de la grande disette de vivres et de toute autre munition ; cependant ils voulurent profiter, pour partir, du repos de la nuit. Ils prirent leurs armes ; les Syracusains s’en aperçurent et chantèrent le pœan. Les Athéniens, voyant qu’ils ne pouvaient cacher leur retraite, quittèrent les armes, à l’exception de trois cents hommes qui forcèrent la garde, et allèrent pendant la nuit où ils purent.

LXXXIV. Le jour venu, Nicias mit en marche son armée[2]. Les Syracusains et les alliés continuaient de les harceler de toutes parts, ne cessant de tirer des flèches et de lancer des javelots. Cependant les Athéniens s’avançaient vers le fleuve Assinare, toujours tourmentés par les chocs répétés d’une nombreuse cavalerie, et par une multitude de troupes ; mais dans l’espérance d’être plus tranquilles, s’ils pouvaient passer le fleuve : d’ailleurs, le tourment de la soif les y attirait. Ils y parvinrent ; tous s’y précipitèrent en désordre, c’était à qui passerait le premier. Les ennemis les pressaient et rendaient le passage difficile. Obligés de se serrer en avançant, ils tombaient les uns sur les autres et se foulaient aux pieds. Se heurtant contre les javelots de leurs voisins, s’embarrassant dans les ustensiles, les uns se tuaient aussitôt, les autres étaient emportés par le courant. Les bords étaient escarpés ; les Syracusains avaient gagné l’autre rive ; ils tiraient d’en haut sur des infortunés, livrés la plupart au plaisir d’étancher leur soif, et qui se mettaient eux-mêmes en désordre dans un fleuve profond. Ils y descendirent, et firent un grand carnage des malheureux qui s’y étaient plongés. Bientôt l’eau fut troublée ; mais toute bourbeuse et sanglante, on la buvait encore, on se la disputait les armes à la main.

LXXXV. Enfin les morts étaient entassés dans le fleuve, l’armée était défaite : les uns avaient péri dans la rivière ; les autres, atteints dans leur fuite par la cavalerie. Nicias se rendit à Gylippe ; il avait en lui plus de confiance qu’aux Syracusains. Il se remit à la discrétion des Lacédémoniens et de ce général, en les priant d’arrêter le carnage. Gylippe alors ordonna de faire les Athéniens prisonniers. On emmena vivans tous ceux que les Syracusains n’avaient pas cachés ; ils en avaient caché beaucoup. On envoya à la poursuite des trois cents qui avaient échappé à la garde pendant la nuit ; ils furent arrêtés. Le nombre de ceux qui furent pris en masse, et qui étaient prisonniers de l’état n’était pas considérable. Ceux qui furent dérobés par des particuliers étaient en grand nombre. La Sicile en fut remplie. Ils n’appartenaient point à l’état, parce qu’ils ne s’étaient pas rendus sur une convention, comme les soldats de Démosthène. Il y eut beaucoup de morts : cette action ne fut pas moins meurtrière qu’aucune autre de cette guerre. Il avait aussi péri bien du monde dans les attaques continuelles

  1. 7 septembre.
  2. 8 Septembre.