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charge et se réfugièrent dans leur station. Les Syracusains ne les poursuivirent pas au-delà de ces bâtimens, arrêtés à l’entrée par les dauphins[1] qu’on avait suspendus aux antennes. Deux vaisseaux syracusains osèrent s’en approcher avec la confiance que donne la victoire ; ils furent considérablement endommagés, et même l’un des deux fut pris avec les hommes qu’il portait. Les Syracusains avaient coulé bas sept vaisseaux d’Athènes, maltraité beaucoup d’autres, pris et tué des hommes. Ils se retirèrent, célébrèrent par des trophées leurs deux victoires, et conçurent dès lors la ferme assurance d’avoir pris sur mer une supériorité décidée : ils pensèrent même qu’ils se rendraient maîtres de l’armée, et se disposèrent à faire encore une attaque sur les deux élémens.

XLII. Dans ces conjonctures, arrivent Démosthène et Eurymédon avec les secours qu’ils amènent d’Athènes[2] ; soixante et treize vaisseaux ou à peu près, y compris les navires étrangers, environ cinq mille hoplites d’Athènes et des alliés, un grand nombre de Barbares et de Grecs, armés de javelots, des frondeurs, des archers et tout le reste d’un formidable appareil. Les Syracusains et les alliés, d’abord frappés d’une vive terreur, ne voyaient plus de ressource au danger de leur situation, lorsque, malgré le fort construit à Décélie, il arrivait encore une armée toute aussi forte que la première, et que, de tous côtés, Athènes déployait une puissance redoutable. L’ancienne armée athénienne reprenait de son côté quelque courage après les maux qu’elle avait soufferts.

Démosthène, instruit de l’état des choses, crut qu’il n’y avait pas de temps à perdre, et qu’il ne fallait pas tomber dans les mêmes fautes que Nicias. Terrible à son arrivée, au lieu d’attaquer aussitôt Syracuse, ce général avait passé l’hiver à Catane, s’était attiré le mépris, et avait donné à Gylippe, et à l’armée du Péloponnèse, le temps de le prévenir. Les Syracusains n’auraient pas même demandé ce renfort si Nicias les eût d’abord attaqués : ils se seraient crus capables de résister, et au moment qu’ils auraient appris leur faiblesse, ils se seraient trouvés investis. En supposant qu’alors ils eussent fait demander du secours, ils n’en auraient pas tiré le même avantage.

Telles furent les réflexions de Démosthène, et persuadé que c’était le premier jour de son arrivée qui devait inspirer aux ennemis plus de terreur, il voulu profiter de l’effroi qu’il leur causait. Il voyait que ce n’était qu’un simple mur qu’ils avaient élevé pour empêcher les Athéniens de les investir, et que pour l’enlever aisément, sans que personne osât faire résistance, il ne fallait que se rendre maître du passage d’Êpipole, et du camp qui s’y trouvait placé. Il se hâta donc de tenter l’entreprise. Son idée était de terminer promptement la guerre : s’il réussissait, il entrerait dans Syracuse ; sinon, il ramènerait l’armée, sans perdre inutilement les troupes qui partageaient l’expédition et ruiner la république entière. Les Athéniens sortirent de leurs retranchemens, et ravagèrent le territoire baigné pas l’Anapus. Ils eurent, comme auparavant, la supériorité par terre et par mer ; car les Syracusains ne leur opposèrent d’un côté ni de l’autre aucune résistance ; il ne sortit contre eux que la cavalerie et les gens de traits d’Olympium.

XLIII. Démosthène crut d’abord devoir tâter du retranchement avec des machines de guerre, il les fit avancer ; mais elles furent brûlées par les ennemis qui se défendaient du haut des murailles ; le reste de ses troupes attaqua de différens côtés et fut repoussé. Il ne crut pas devoir perdre le temps ; mais, ayant fait goûter son avis à Nicias et aux autres commandans, il ne pensa plus qu’à diriger, comme il l’avait résolu, ses attaques du côté d’Épipole. Il regardait comme impossible, pendant le jour, de s’avancer ni de franchir la hauteur sans être aperçu, mais il donna ordre aux soldats de se munir de vivres pour cinq jours ; et prenant avec lui les appareilleurs, les maçons, tout ce qu’il y avait de gens de traits, tout ce qui était nécessaire pour se retrancher si l’on avait l’avantage, il se mit en marche contre Épipole à la première veille, avec Eurymédon, Ménandre et toute l’armée[3]. Nicias resta dans les retranchemens. On arriva du même côté par où l’on avait monté la première fois, c’est-à-dire par

  1. Dauphin, pesante masse de fer ou de plomb. On l’attachait à l’antenne du mat, et on la laissait tomber sur le bâtiment qu’on voulait briser.
  2. Vers la fin de juillet.
  3. Fin de juillet.