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et les Corinthiens, qui savaient qu’Athènes faisait passer des secours en Sicile, et qui voulaient mettre obstacle à ces renforts par une diversion sur le pays ennemi. Alcibiade les pressait, et leur montrait la nécessité de fortifier Décélie et de ne pas se ralentir sur les opérations de la guerre.

Mais ce qui surtout les encourageait, c’était la pensée que les Athéniens, avec une double guerre à soutenir contre eux et contre les Siciliens, seraient plus faciles à vaincre. Ils voyaient, d’ailleurs, avec plaisir que c’étaient leurs ennemis qui, les premiers, avaient rompu le traité : car ils s’accusaient d’avoir eu, dans la guerre précédente, le plus de part à l’infraction, puisque c’était en pleine paix que les Thébains étaient entrés à Platée. C’était, d’ailleurs, une des clauses du traité de n’en point venir aux armes contre la puissance contractante qui offrirait de se soumettre à un jugement ; et cependant ils avaient refusé d’écouter les Athéniens qui les appelaient en justice réglée. Ils regardaient leurs infortunes comme une juste punition de cette faute, et se reprochaient à eux-mêmes leur malheur de Pylos et tous ceux qu’ils avaient éprouvés. Mais depuis que les Athéniens, sortis de leurs ports avec trente vaisseaux, avaient dévasté les campagnes d’Épidaure et de Prasium, et d’autres territoires ; qu’ils s’étaient élancés de Pylos pour exercer le brigandage ; qu’ils avaient refusé de prendre les voies de la justice toutes les fois que, sur des différends nés au sujet de quelques articles susceptibles de contestation, ils y avaient été invités par les Lacédémoniens ; ceux-ci, persuadés que les Athéniens attiraient sur eux, à leur tour, la peine d’une faute semblable à celle qu’auparavant eux-mêmes s'étaient reprochée, ne respiraient que la guerre.

Ils firent passer, le même hiver, un ordre aux alliés de fournir du fer, et ils préparèrent tous les matériaux nécessaires à construire des fortifications. Ils expédièrent aussi des secours en Sicile sur des vaisseaux de charge, et contraignirent les autres peuples du Péloponnèse à suivre leur exemple. L’hiver finit, et la dix-huitième année de la guerre dont Thucydide a écrit l’histoire.

XIX. Dès le commencement du printemps[1], les Lacédémoniens et les alliés firent de très bonne heure leur invasion dans l’Attique. Agis, fils d’Archidamus, roi de Lacédémone, les commandait. D’abord, ils dévastèrent les plaines, et se mirent ensuite à fortifier Décélie : ce travail fut partagé entre les troupes des différentes villes. Décélie, éloignée de cent vingt stades[2] au plus d’Athènes, est à peu près à la même distance, ou un peu plus, de la Bœotie. Les fortifications furent établies dans la plaine et dans les endroits les plus commodes pour nuire aux ennemis : on les voyait d’Athènes. Pendant que les Péloponnésiens et les alliés qui étaient dans l’Attique s’occupaient de ces ouvrages, ceux qui étaient restés dans le Péloponnèse envoyaient les troupes en Sicile sur des vaisseaux de transport. Les Lacédémoniens firent choix de ce qu’il y avait de mieux dans les hilotes et les néodamodes[3], au nombre de six cents hoplites de ces deux classes. Ils leur donnèrent pour commandant Eccritus, de Sparte. Les Bœotiens envoyèrent trois cents hoplites, que commandaient Xénon et Nicon, tous deux de Thèbes, et Hégésander, de Thespies. Ils partirent du Ténare, dans la Laconie, et furent les premiers à mettre en mer. Peu de temps après, les Corinthiens envoyèrent cinq cents hoplites, les uns de Corinthe même, les autres pris à leur solde dans l’Arcadie, et ils les mirent sous le commandement d’Alexarque, de Corinthe. Les Sicyoniens firent partir avec les Corinthiens deux cents hoplites, que commandait Sargée, de Sicyone. Les vingt-cinq vaisseaux de Corinthe, qui avaient été équipés pendant l’hiver, se tenaient en station devant les vingt vaisseaux d’Athènes, qui étaient à Naupacte, jusqu’à ce que les bâtimens de charge. sortis du Péloponnèse avec les hoplites, fussent passés. C’était dans cette intention qu’on les avait expédiés d’avance, pour que les vaisseaux de transport attirassent moins que les trirèmes l’attention des Athéniens.

  1. Dix-neuvième année de la guerre du Péloponnèse, troisième année de la quatre-vingt-onzième olympiade, quatre cent treize ans avant l’ère vulgaire. Depuis le 18 mars.
  2. Un peu moins de cinq lieues.
  3. Les néodamodes, comme nous l’avons dit, étaient des affranchis, mais ce n’était pas des hilotes qui eussent reçu l’affranchissement. C’est ce que prouve le passage de Thucydide, liv. v, où il dit : que les Lacédémoniens ayant donné la liberté aux hilotes qui s’étaient bien conduits, les envoyèrent à Lépréum avec les néodamodes. On voit que les néodamodes sont distingués ici des hilotes affranchis.