Page:Thucydide - Œuvres complètes, traduction Buchon, pp001-418, 1850.djvu/243

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

désordres ; car vous êtes des esprits difficiles à gouverner ; et que d’ailleurs nous ne savons d’où faire venir des recrues pour compléter les équipages. C’est en quoi les ennemis trouvent de toutes parts des facilités. Nous n’avons d’autre moyen de réparer nos pertes, que de recourir à vous-mêmes, qui nous avez procuré ce que nous avions au moment du départ, et ce qui nous reste encore. Nos villes alliées, Naxos et Catane, sont maintenant hors d’état de nous offrir des ressources. Si les ennemis ont encore un avantage de plus, si les endroits de l’Italie qui nous fournissent des subsistances se joignent à eux, instruits de l’état où nous sommes, et sachant que vous ne nous secourez pas, nous serons réduits au dernier besoin, et la guerre sera finie sans combat.

« Je voudrais vous mander des choses plus agréables, mais je ne pourrais vous en écrire de plus importantes, puisqu’il faut que vous soyez bien informés de l’état de ce pays-ci pour en faire l’objet de vos délibérations. D’ailleurs, je vous connais, je sais que vous n’aimez à apprendre que de bonnes nouvelles ; mais qu’ensuite vous rejetez le mal sur ceux qui vous les donnent, si les événemens qui succèdent n’y répondent pas : j’ai donc regardé come le plus sûr de vous dire la vérité.

XV. « Soyez persuadés que, chefs et soldats, dans l’expédition dont vous les avez chargés, se sont conduits sans reproche ; mais à présent que toute la Sicile est liguée contre nous et qu’on y attend une nouvelle armée du Péloponnèse, prenez pour base de vos délibérations que vous n’avez ici que des forces insuffisantes. Il faut ou les rappeler, ou envoyer une seconde armée de terre et de mer, aussi forte que la première, avec de grandes sommes d’argent. Il faut aussi me donner un successeur : la néphrétique dont je suis tourmenté ne me permet plus de garder le commandement. Je mérite de votre part cette condescendance : tant que j’ai eu de la santé, je vous ai souvent bien servis à la tête de vos armées. Au reste, ce que vous jugerez à propos de faire, doit être prêt au commencement du printemps. Ne vous permettez pas de lenteur. Nos ennemis de Sicile ne mettront que peu de temps à leurs dispositions ; ceux du Péloponnèse tarderont davantage ; mais si vous n’y faites attention, les uns vous surprendront, comme ils l’ont déjà fait, et les autres vous préviendront. »

XVI. Voilà ce que portait la lettre de Nicias. Les Athéniens, après en avoir entendu la lecture, ne le déchargèrent pas du commandement ; mais, jusqu’à l’arrivée des collègues qu’ils lui choisirent, ils lui donnèrent pour adjoints deux hommes de son armée, Ménandre et Euthydème, pour que, dans son état d’infirmité, il ne fût pas obligé de soutenir seul toutes les fatigues. Ils décrétèrent qu’il serait envoyé une autre armée de terre et de mer, composée d’Athéniens inscrits sur le rôle et d’alliés. Ils élurent pour collègues de Nicias, Démosthène, fils d’Alcisthène, et Alcimédon, fils de Théoclès. Ils se hâtèrent d’expédier celui-ci vers le solstice d’hiver[1], lui remirent dix vaisseaux et vingt talens d’argent[2], et le chargèrent d’annoncer à l’armée qu’elle recevrait du renfort et qu’on s’occupait d’elle.

XVII. Démosthène devait partir au commencement du printemps ; en attendant, il s’occupait de ses préparatifs[3]. Il fit annoncer aux alliés de tenir prêt de l’argent, des vaisseaux et des gens de guerre. Les Athéniens envoyèrent autour du Péloponnèse vingt vaisseaux pour y rester en observation, et pour empêcher que personne ne passât de Corinthe et du Péloponnèse dans la Sicile. Car les Corinthiens, au retour de leurs députés, mieux informés de l’état du pays, et persuadés qu’ils avaient eu raison d’expédier les premiers vaisseaux, mettaient encore plus d’ardeur dans leurs résolutions. Ils se disposaient à faire porter des hoplites en Sicile sur des vaisseaux de charge, pendant que les Lacédémoniens en expédieraient des autres parties du Péloponnèse. Ils équipaient vingt-cinq vaisseaux pour attirer au combat la flotte d’observation qui était à Naupacte. Leur objet, en opposant une garde de trirèmes à celle de leurs ennemis, était que la traversée de leurs vaisseaux de charge fût moins aisément troublée par les Athéniens de Naupacte.

XVIII. Les Lacédémoniens s’occupaient de leur côté à suivre leur projet d’invasion dans l’Attique. Ils étaient excités par les Syracusains

  1. Fin de décembre.
  2. Cent huit mille livres.
  3. Quatre cent treize ans avant l’ère vulgaire. Entre le premier janvier et le 18 mars.