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thènes et celle qu’elle doit acquérir : vous jouirez à l’avenir de la tranquillité intérieure, et vous aurez sur la Grèce entière un empire qu’elle vous offrira d’elle-même ; empire que vous ne devrez pas à la force, mais à la bienveillance. »

CIII. Voilà ce que dit Alcibiade. Les Lacédémoniens avaient déjà conçu le projet de faire la guerre aux Athéniens ; cependant ils différaient et se tenaient dans la circonspection ; mais quand ils eurent appris de sa bouche tous les détails dont il leur fit part, assurés que c’était un homme bien instruit qu’ils venaient d’entendre, ils conçurent bien plus de hardiesse. Toutes leurs pensées s’arrêtèrent à fortifier Décélie et à faire partir sur-le-champ quelques secours pour la Sicile. Gylippe, fils de Cléandridas[1], fut celui qu’ils choisirent pour commander aux Syracusains. Il devait se consulter avec eux et avec les Corinthiens, et employer tous les moyens qui seraient en son pouvoir pour faire parvenir au plus tôt à Syracuse le plus puissant renfort. Il donna ordre de lui expédier sur-le-champ à Asiné deux vaisseaux de Corinthe, d’en appareiller d’autres, au nombre qu’on voudrait lui faire passer, et de les tenir prêts à mettre en mer lorsqu’il en serait temps. Les Corinthiens promirent de se conformer à ses intentions et partirent de Lacédémone.

On reçut alors à Athènes la trirème que les généraux athéniens avaient dépêchée de Sicile pour demander des munitions et de la cavalerie. Sur cette réquisition, les Athéniens décrétèrent qu’on ferait passer à l’armée des cavaliers et des subsistances. L’hiver finit, avec la dix-septième année de la guerre dont Thucydide a écrit l’histoire.

XCIV. L’été suivant, dès les premiers jours du printemps[2], les Athéniens qui étaient en Sicile appareillèrent de Catane et allèrent à Mégare. Les Syracusains, comme je l’ai dit plus haut, en avaient chassé les habitans du temps de Gélon, et étaient restés maîtres du pays. Les Athéniens y firent une descente et ravagèrent le territoire ; ils s’avancèrent jusqu’à un fort des Syracusains, et, n’ayant pu le prendre, ils gagnèrent par terre et par mer le fleuve Térias, entrèrent dans la campagne, la saccagèrent, et mirent le feu aux champs de blés. Ils rencontrèrent des Syracusains en assez petit nombre, en tuèrent quelques-uns, dressèrent un trophée, et retournèrent à leurs vaisseaux. De là ils revinrent à Catane, en tirèrent des subsistances, et se portèrent avec toute l’armée à Centoripes, place des Sicules : après l’avoir reçue à composition, et mis le feu aux blés d’Inesse et d’Hybla, ils se retirèrent. De retour à Catane, ils y reçurent deux cent cinquante hommes de cavalerie qui arrivaient d’Athènes, avec leurs équipages, mais sans chevaux, parce qu’on avait pensé qu’il leur en serait fourni de Sicile. Il leur vint aussi trente archers à cheval, et trois cents talens d’argent[3].

XCV. Dans le même printemps[4] les Lacédémoniens portèrent les armes contre Argos et s’avancèrent jusqu’à Cléone ; mais il survint un tremblement de terre, et ils firent leur retraite. Les Argiens se répandirent ensuite dans les campagnes de Thyrée, pays situé sur leurs frontières, et y firent, sur les Lacédémoniens, un butin considérable : ils n’en tirèrent pas moins de vingt-cinq talens[5].

Peu de temps après et dans le cours du même été[6], le peuple de Thespies fit une insurrection contre ses magistrats, mais sans pouvoir s’emparer du gouvernement ; quoique secondés par les Athéniens, les uns furent pris, et les autres réduits à chercher un refuge à Athènes.

XCVI. Les Syracusains apprirent, dans le même été, que les Athéniens avaient reçu de la cavalerie, et qu’ils se disposaient à marcher

  1. Gylippe était fils de ce Cléandridas qui avait été condamné à mort, et obligé de prendre la fuite, pour s’être laissé corrompre par l’argent de Périclès. (Voyez liv. ii, chap. xi et la note). Gylippe, après avoir bien servi sa patrie dans l’affaire de Sicile, encourut la même peine. Il fut chargé par Lysandre de porter à Sparte les dépouilles provenues des Athéniens. L’argent, qui se montait à quinze cents talens (huit millions cent mille livres), était renfermé dans des sacs ; mais dans chacun des sacs était le bordereau de la somme qu’il contenait. C’est ce que Gylippe ne savait pas ; il ouvrit les sacs, et en prit trois cents talens (un million six cent mille livres). Le vol fut reconnu, Gylippe prit la fuite et fut condamné à mort. (Diod. Sicil., Mb xiii, p. 225 ; ed. Rhodom. Plut., in Lysandro.)
  2. Dix-huitième année de la guerre du Péloponnèse, seconde année de la quatre-vingt-onzième olympiade, quatre cent quinze ans avant l’ère vulgaire. Après le 30 mars et dans le courant d’avril.
  3. Un million six cent vingt mille livres.
  4. Avril et mai.
  5. Cent trente-cinq mille livres.
  6. Mai.