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difficile, à nous détourner de nos desseins. Tant que vous pourrez tirer parti de notre humeur inquiète et de notre caractère, saisissez cet avantage, et sachez en profiter. Croyez que ce défaut qu’on nous reproche n’est pas également nuisible à tous, et qu’il sert même bien la plus grande partie des Grecs. Partout, et dans les pays même où nous ne dominons pas, celui qui veut opprimer, et celui qui craint l’oppression, s’attendent également tous deux, l’un à recevoir nos secours, l’autre, si nous arrivons, à ne pouvoir sans crainte hasarder son projet. D’où il arrive que l’un est forcé malgré lui à conserver de la modération, et que l’autre est sauvé sans avoir rien fait pour lui-même. Ne rejetez donc pas cet avantage commun à tous ceux qui le réclament, et qui s’offrent maintenant à vous : suivez l’exemple des autres ; et au lieu de vous tenir toujours en garde contre les Syracusains, unissez-vous à nous pour les attaquer enfin vous-mêmes. »

LXXXVIII. Ainsi parla Euphémus. Les habitans de Camarina étaient partagés entre deux affections différentes. D’un côté, ils avaient de la bienveillance pour les Athéniens, autant du moins qu’ils le pouvaient, en soupçonnant qu’ils venaient asservir la Sicile ; de l’autre, ils étaient toujours en différends pour leurs limites avec les Syracusains ; mais ils ne craignaient pas moins que ceux-ci, qui étaient leurs voisins, n’eussent l’avantage, même sans avoir reçu d’eux aucun secours. C’était ce qui les avait engagés d’abord à leur envoyer de la cavalerie. Ils avaient dessein de ne les aider en effet dans la suite, qu’avec autant de ménagement qu’il serait possible. Cependant, pour ne se pas montrer, dans les circonstances présentes, moins portés pour les Athéniens, surtout après la supériorité qu’ils venaient d’obtenir, ils crurent, dans leur réponse, devoir traiter avec égalité les deux partis. Fixés à cette résolution, ils répondirent que la guerre s’étant élevée entre deux peuples, qui étaient leurs alliés, ils croyaient, par respect pour leurs sermens, ne devoir secourir ni l’un ni l’autre. Les députés d’Athènes et de Syracuse se retirèrent.

Pendant que les Syracusains faisaient leurs dispositions pour la guerre, les Athéniens, campés à Naxos, négociaient avec les Sicules pour en attirer le plus grand nombre à leur parti. Ils ne purent entraîner à la défection que peu de ceux qui habitaient les plaines, et qui étaient sujets de Syracuse ; mais ceux qui logeaient dans l’intérieur des terres, et qui avaient toujours été libres, s’empressèrent presque tous de se montrer affectionnés aux Athéniens ; ils apportèrent à l’armée des vivres, et quelques uns même de l’argent. Les Athéniens firent la guerre à ceux qui n’embrassaient pas leur cause, forcèrent les uns à s’y joindre, et empêchèrent les autres de recevoir la garnison et les secours qu’on leur faisait passer de Syracuse. Pendant l’hiver, ils se portèrent de Naxos à Catane, rétablirent le camp qu’avaient brûlé les Syracusains, et y passèrent le reste de la saison. Ils envoyèrent à Carthage des trirèmes pour se concilier l’amitié de cette république, et essayer d’en tirer quelques services. Ils envoyèrent aussi dans la Tyrsénie, sur l’avis qu’ils avaient reçu de quelques villes, qu’elles étaient disposées à combattre avec eux. Ils expédièrent de tous côtés des messages pour les Sicules, et firent prier les Égestains de leur envoyer le plus de cavalerie qu’il serait possible. Ils préparaient des briques, du fer, tous les matériaux nécessaires à des fortifications, et s’occupaient de ce que devait exiger la guerre qu’ils allaient recommencer au printemps.

Cependant les députés de Syracuse, envoyés à Corinthe et à Lacédémone, essayèrent d’engager en passant les peuples de l’Italie à ne pas regarder avec indifférence les entreprises des Athéniens, qui ne les menaçaient pas moins eux-mêmes que la Sicile. Arrivés à Corinthe, ils entrèrent en négociation, et demandèrent qu’en faveur de l’origine commune on leur prêtât de l’assistance. Aussitôt les Corinthiens décrétèrent qu’ils mettraient tout leur zèle à secourir Syracuse : non contens d’être les premiers à donner cet exemple, ils joignirent, pour Lacédémone, leurs députés à ceux de cette république, avec ordre d’engager les Lacédémoniens à faire contre Athènes une guerre encore plus ouverte, et à envoyer quelques secours en Sicile. Les députés de Corinthe arrivèrent à Lacédémone. Dans ces circonstances, Alcibiade, avec les compagnons de son exil, se hâta de passer des champs de Thurium à Cyllène dans l’Élide, et partit pour cette même ville, invité par les citoyens. Il n’entreprit ce voyage que sous la foi publique ; car