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ger pour notre pays ; il peut observer qu’il ne s’agit pas plus de notre pays que d’un autre, et qu’en venant combattre sur notre territoire, ce serait également pour le sien qu’il combattrait. Ce serait d’autant mieux le parti le plus sûr, que nous ne sommes point encore détruits, qu’il nous aurait pour alliés, et qu’il ne serait pas seul à se défendre. Qu’il sache que l’objet des Athéniens n’est pas de se venger de notre haine, mais de se servir de nous pour s’assurer de son amitié. Celui qui nous envie ou qui nous craint (car ce sont deux maux qui accompagnent la supériorité), qui, dans ces sentimens, désire de nous voir humiliés, pour nous rendre plus modestes, et qui souhaite en même temps notre conservation pour sa propre sûreté, veut ce qui n’est pas dans la puissance des hommes. On n’est pas maître de régler la fortune au gré de ses désirs. Trompé dans son attente, et gémissant bientôt de ses propres malheurs, il voudrait peut-être alors envier, comme autrefois, notre prospérité. C’est ce qui ne sera plus permis à quiconque nous aura laissés dans l’abandon, et qui n’aura pas voulu prendre part à des dangers qui sont les mêmes aussi bien pour lui que pour nous ; car ceux qui sembleront ne sauver que notre puissance, pourvoiront en effet à leur propre salut.

« Voilà ce que surtout, ô citoyens de Camarina, vous qui, placés sur nos frontières, courez, après nous, le premier danger, vous auriez dû prévoir, au lieu de nous servir mollement, comme vous venez de faire ; il fallait plutôt venir à nous de votre propre mouvement, nous exhorter à ne pas nous laisser abattre, et nous donner les mêmes conseils, que si c’était Camarina que les Athéniens eussent attaquée la première, et que vous eussiez eu besoin de nous implorer. C’est ce que ni vous ni les autres ne vous êtes encore empressés de faire.

LXXIX. « Peut-être par timidité, voudrez-vous ménager la justice entre nous et nos agresseurs ; vous direz qu’il existe une alliance entre vous et les Athéniens. Eh ! ce n’est pas contre vos amis que vous l’avez contractée, mais contre les ennemis qui pourraient vous assaillir ; c’est pour secourir les Athéniens, quand d’autres les attaqueront, et non quand eux-mêmes, comme à présent, viendront attaquer les autres. Aussi les citoyens de Rhégium, quoique Chalcidiens, ne veulent-ils pas s’unir aux desseins d’Athènes pour rétablir les habitans de Léontium, Chalcidiens eux-mêmes. C’est une chose étrange, qu’ils regardent comme suspectes les belles apparences de justice des Athéniens, et suivent la raison en semblant l’offenser, tandis que vous, qui avez en votre faveur un motif raisonnable, vous voulez servir vos ennemis naturels, et perdre les amis à qui la nature vous attache de plus près, en vous unissant à leurs plus mortels ennemis. Ayez horreur de cette injustice. Secourez-nous et ne craignez pas l’appareil de leurs forces ; elles deviennent redoutables, si nous nous divisons, et c’est ce qu’ils cherchent ; mais elles le sont peu, si tous nous restons unis. Ce n’est qu’à nous seuls qu’ils ont affaire ; et cependant, vainqueurs dans un combat, ils n’ont pu remplir leurs projets, et ont fait une retraite précipitée.

LXXX. « En nous tenant dans l’union, nous aurions tort de perdre courage : formons ensemble une étroite confédération, avec d’autant plus de zèle, que nous allons être secondés par les peuples du Péloponnèse, guerriers bien supérieurs aux Athéniens. Et ne regardez pas comme un acte de prudence, juste à notre égard, et utile à votre sûreté, de ne secourir ni l’un ni l’autre parti, parce que vous êtes alliés de tous deux. Cela peut sembler juste en spéculation, et ne l’est pas en effet. Car si, pour n’avoir pas reçu votre secours, celui qu’on attaque est perdu, tandis que l’agresseur sera victorieux, quelle sera la suite de votre inactivité ? De n’avoir pas donné au premier une assistance qui l’aurait sauvé, et d’avoir permis la méchanceté du second. Certes, il est plus honnête de vous unir à ceux qu’on insulte, à ceux qui ne composent qu’une famille avec vous, et de protéger les intérêts communs de la Sicile, que de permettre aux Athéniens, vos amis, de se rendre coupables.

« En un mot, les Syracusains ne pensent pas devoir vous apprendre, ni à vous ni à d’autres peuples, ce que vous ne savez pas moins bien vous-mêmes. Mais nous vous implorons, et en même temps, si vous n’écoutez pas nos prières, nous protestons contre vous, nous Doriens, attaqués par des Ioniens, nos constans ennemis, et que vous, Doriens, ne craignez pas de trahir. Si les Athéniens nous subjuguent, c’est à vos