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exhorter par un long discours à bien faire, quand nous allons tous combattre ensemble ? Votre force est, ce me semble, plus capable d’inspirer de la valeur que de beaux discours avec une faible armée. Ici se trouvent des guerriers d’Argos, de Mantinée, d’Athènes, les hommes les plus valeureux des îles ; et comment, avec de tels et de si nombreux alliés, n’avoir pas la plus grande espérance de la victoire, surtout quand on ne nous oppose que des gens ramassés sans choix dans toute une nation, des gens qui ne sont pas, comme nous, l’élite de leur patrie, et pour dire encore plus, des Siciliens qui nous méprisent et ne tiendront pas contre nous, parce qu’ils ont moins d’habileté que d’audace. Songez que vous êtes loin de votre pays, et que vous n’aurez aucune terre amie sans vous la procurer par la force des armes. Je vous présenterai des idées contraires à ce que, j’en suis sûr, nos ennemis se disent entre eux pour s’animer. C’est, disent-ils, pour la patrie que nous allons combattre ; et moi je dis que ce n’est point dans votre patrie, et qu’il faut vous rendre maîtres de cette terre, ou qu’il ne vous sera pas aisé d’en sortir ; car vous serez accablés par une cavalerie formidable. Pleins du souvenir de votre gloire, marchez avec ardeur aux ennemis, et songez que la nécessité qui vous presse, et le défaut de ressources qui vous menace, sont plus redoutables qu’eux. »

LXIX. Après avoir exhorté de cette manière ses soldats, Nicias aussitôt les conduisit à l’action. Les Syracusains étaient loin de s’attendre à combattre si promptement. Plusieurs même étaient allés à la ville qui n’était pas éloignée : ils accoururent en hâte au secours des leurs ; cependant ils tardèrent, et chacun se rangea au hasard avec les premiers corps qu’il trouva formés. Ils ne manquaient ni d’ardeur ni de courage ; c’est ce qu’on vit dans cette affaire et dans les autres ; mais s’ils ne cédaient pas à leurs ennemis par la valeur, ils ne pouvaient l’exercer qu’en proportion de leur science militaire ; et ce qui leur manquait à cet égard leur faisait trahir, en dépit d’eux-mêmes, leur bonne volonté.

Cependant, quoiqu’ils n’eussent pas cru que les Athéniens dussent attaquer les premiers, obligés de se défendre à la hâte, ils prirent les armes, et marchèrent à l’instant au-devant de l’ennemi. L’action commença des deux côtés par les corps qui lançaient des pierres à la main, les frondeurs et les archers, et, suivant la coutume des troupes légères, ils se mettaient réciproquement en fuite. Les devins offrirent ensuite les victimes d’usage, et les trompettes donnèrent aux hoplites le signal de la mêlée. On marcha, les Syracusains pour défendre la patrie, pour leur conservation présente, pour leur liberté à venir ; et de l’autre côté, les Athéniens pour se rendre maîtres d’une terre étrangère, et ne pas nuire à leur pays par leur défaite ; les Argiens et les autres alliés libres, pour partager avec eux les conquêtes qu’ils venaient chercher, et pour retourner victorieux dans leur patrie ; les alliés sujets, d’abord et surtout pour leur conservation, désespérés s’ils n’étaient pas vainqueurs, et ensuite, par une vue accessoire, pour rendre leur sujétion plus douce, en aidant leurs souverains à faire des conquêtes.

LXX. On en vint aux mains, et la résistance fut longue de part et d’autre. Il survint du tonnerre, des éclairs, une forte pluie. Ceux qui combattaient pour la première fois, et qui n’avaient jamais vu la guerre, avaient cette terreur de plus : ceux qui avaient plus d’expérience, ne voyaient en cela qu’un effet de la saison[1], et ils étaient bien plus effrayés de ce que les ennemis ne fléchissaient pas. Mais dès que les Argiens eurent repoussé la gauche des Syracusains, et ensuite les Athéniens ce qui était devant eux. tout le reste de l’armée syracusaine fut aussitôt rompu et mis en fuite. Les Athéniens ne s’avancèrent pas bien loin à la poursuite ; car la cavalerie syracusaine qui était nombreuse, et qui n’avait pas été battue, les contenait et se jetait sur les hoplites qu’elle voyait se détacher à la suite des vaincus. Ils se tinrent serrés, contens de suivre, autant qu’ils le purent, l’ennemi, sans se mettre eux-mêmes au hasard, et à leur retour, ils élevèrent un trophée. Les Syracusains se rallièrent sur le chemin d’Hélore, se mirent en ordre autant que les circonstances le permettaient, et envoyèrent un détachement à la garde d’Olympium, de peur que les Athéniens ne pillassent les richesses qui s’y trouvaient déposées. Le reste rentra dans la ville.

LXXI. Les Athéniens n’allèrent point à ce temple ; mais ils rassemblèrent leurs morts, les mirent sur le bûcher, et ce fut là qu’ils passèrent

  1. En novembre.