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servé les ports, la ville, et l’assiette de la campagne d’où ils devaient partir pour combattre, ils revinrent à Catane.

LI. Les habitans convoquèrent une assemblée, et, sans introduire l’armée dans la ville, ils y laissèrent entrer les généraux, et leur permirent de faire entendre ce qu’ils avaient à dire. Pendant qu’Alcibiade parlait, et que l’attention des citoyens ne se portait que du côté de leur assemblée, les troupes, sans qu’on s’en aperçût, abattirent une porte qui avait été mal construite, entrèrent dans la place, et s’arrêtèrent dans le marché. Ceux qui tenaient pour la faction de Syracuse, voyant les troupes dans la ville, furent saisis d’effroi, et sortirent ; mais ils étaient en petit nombre. Les autres décrétèrent qu’on accepterait l’alliance d’Athènes, et demandèrent qu’on fît venir de Rhégium le reste de l’armée. Les Athéniens s’y rendirent, revinrent à Catane avec toutes leurs forces, et y établirent leur camp.

LII. On leur vint annoncer de Camarina qu’on se rendrait à eux s’ils s’avançaient, et que les Syracusains appareillaient leur flotte. Ils se portèrent d’abord avec toute l’armée à Syracuse, n’y trouvèrent rien d’équipé, et suivant la côte jusqu’à Camarina, ils prirent terre sur le rivage, et envoyèrent des hérauts faire des proclamations ; mais les habitans ne voulurent pas les recevoir. Ils dirent qu’ils s’étaient engagés par serment à ne recevoir à la fois qu’un vaisseau athénien, à moins qu’eux-mêmes n’en mandassent un plus grand nombre. Il fallut se retirer sans avoir rien obtenu. Ils descendirent dans une campagne dépendante de Syracuse, et y firent du butin ; mais comme la cavalerie syracusaine vint les attaquer, et leur tua quelques troupes légères qui s’étaient dispersées, ils retournèrent à Catane.

LIII. Ils rencontrèrent la galère salaminienne : elle arrivait d’Athènes et apportait à Alcibiade l’ordre de venir répondre aux accusations que lui intentait la république. On mandait aussi quelques-uns de ses soldats, dénoncés les uns comme coupables de la profanation des mystères, et les autres de la mutilation des hermès. Après le départ des troupes, les Athéniens ne s’étaient pas relâchés sur la recherche de ces sacrilèges. Ils enveloppaient tout le monde dans leurs soupçons, recevaient toutes les dénonciations sans examiner la personne des dénonciateurs, et sur la délation d’hommes méprisables, ils arrêtaient et mettaient aux fers de très bons citoyens. Ils croyaient qu’il valait mieux scruter cette affaire et en découvrir la vérité, que de laisser échapper, à cause de la bassesse du délateur, un citoyen qui semblait honnête homme, mais qui était accusé. Comme le peuple avait entendu dire que la tyrannie de Pisistrate et de ses fils avait fini par être pesante, que ni les Athéniens ni Harmodius n’avaient pu la détruire, et qu’elle n’avait été renversée que par les Lacédémoniens, il était toujours dans la crainte et tout lui inspirait de la défiance.

LIV. Ce fut une aventure amoureuse qui donna lieu à l’audacieuse entreprise d’Aristogiton et d’Harmodius. En développant cet événement, je montrerai que personne, sans même en excepter les Athéniens, n’a parlé avec exactitude de ces tyrans. ni du fait dont il s’agit ici. Quand Pisistrate fut mort en possession de la tyrannie, dans un âge avancé, ce ne fut pas, comme la plupart le pensent, Hipparque, mais Hippias son fils ainé qui s’empara de la domination. Harmodius était dans l’âge où la jeunesse a le plus d’éclat : Aristogiton, citoyen d’une condition médiocre, en devint amoureux et lui plut. Harmodius, recherché par Hipparque, fils de Pisistrate, ne répondit point à ses désirs, et les fit connaître à Aristogiton. Celui-ci conçut tout le chagrin qu’inspire l’amour jaloux ; il craignit que son rival n’employât la force, et dès ce moment il résolut de mettre en usage le crédit qu’il pouvait avoir pour détruire la tyrannie. Hipparque, cependant, renouvela ses tentatives auprès d’Harmodius, et toujours avec aussi peu de succès. Il ne voulait rien faire qui tînt de la violence, mais il prit des mesures pour lui faire un affront par quelque moyen indirect, sans laisser voir qu’il cherchait à se venger ; car, d’ailleurs, il ne se conduisait pas durement envers le peuple dans l’exercice de sa puissance, et se gouvernait de manière à ne point exciter la haine. Ces tyrans affectèrent long-temps la sagesse et la vertu ; contens de lever sur les Athéniens le vingtième des revenus, ils embellissaient la ville, soutenaient la guerre, et faisaient, dans les fêtes, les frais des sacrifices. La république, dans tout le reste, jouissait de ses droits, et la famille de Pisistrate avait seulement attention de placer