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le plus grand nombre ? et comment serait-il juste que des égaux ne jouissent pas de l’égalité ?

XXXIX. « On dira que la démocratie est absurde et inique, et que les riches gouvernent le mieux. Je réponds d’abord que ce qu’on appelle le peuple est l’état tout entier, et que ce qui forme l’oligarchie n’en est que le petit nombre ; ensuite que les riches sont excellens pour garder les richesses, les gens sages pour donner des conseils, et le peuple pour juger, après avoir entendu un bon exposé des affaires. Dans la démocratie, ces différens ordres, pris ensemble et séparément, jouissent des mêmes droits : au lieu que l’oligarchie abandonne les dangers au grand nombre ; et non contente de ravir la plus grande partie des avantages, elle les usurpe tous. C’est à cet odieux partage qu’aspirent ici des riches et des jeunes gens, et c’est ce qu’ils n’obtiendront pas, dans une aussi grande ville que la nôtre. O les plus insensés des hommes ! Vous êtes les plus stupides des Grecs que je connaisse, si vous ne sentez pas en ce moment que c’est après des maux que vous courez ; ou les plus injustes, si vous le savez, et si vous persistez dans votre audace.

XL. « Mieux instruits, ou revenus à résipiscence, travaillez, pour l’intérêt de tous, à rendre encore la république plus florissante, persuadés que ceux d’entre vous qui ont le plus de mérite participeront à ses avantages, et qu’ils y auront même une meilleure part que la multitude ; mais avec d’autres vues, vous risquez de perdre l’état. Cessez de répandre des avis tels que ceux que vous faites courir, sûrs que nous pressentons vos desseins, et que nous ne vous permettrons pas de les exécuter. Notre ville, quand même les Athéniens arriveraient, se défendra d’une manière digne d’elle. Nous avons des généraux, qui auront l’œil sur ces événemens. Si rien n’est vrai de tout ce qu’on nous annonce, et c’est ce que je crois, l’état ne se laissera point intimider par vos avis, il ne vous choisira pas pour ses chefs, et ne se jettera pas de plein gré dans l’esclavage ; mais il considérera les choses par lui-même, jugera vos propos comme des actions, et ne se laissera pas ravir la liberté par de vaines paroles. Enfin il tâchera de se conserver, en restant sur ses gardes, et ne vous permettra pas d’en venir à l’exécution de vos projets. »

XLI. Voilà ce que dit Athénagoras. L’un des généraux se levant, ne permit plus à personne de prendre la parole, et il s’exprima lui-même ainsi sur la question qu’on agitait. « Il n’est sage ni de se permettre des invectives les uns contre les autres, ni de paraître les approuver en daignant les entendre. Il vaut mieux, d’après les bruits qui se répandent, que chaque citoyen en particulier, que la république entière, voient comment il faut se disposer à bien recevoir les ennemis ; si ces précautions sont inutiles, ce ne sera point un mal pour l’état de se pourvoir de chevaux, d’armes, de tout ce qu’exige la guerre. Nos fonctions, à nous, seront de donner nos soins à ces apprêts, d’en avoir l’inspection, d’envoyer reconnaître les dispositions des villes, de pourvoir, en un mot, à tout ce qui nous semblera nécessaire. Nous avons déjà pris des mesures, et nous vous ferons le rapport de ce que nous pourrons apprendre. »

Ainsi parla ce général, et l’assemblée fut dissoute.

XLII. Les Athéniens étaient déjà tous à Corcyre avec les alliés. Les généraux firent d’abord une nouvelle revue de la flotte, et la disposèrent dans l’ordre où elle devait entrer en rade et se ranger en bataille. Ils en firent trois divisions, et se les partagèrent au sort. C’était pour éviter les embarras qu’en voguant tous ensemble ils eussent éprouvés à faire de l’eau, à entrer dans les ports, à se pourvoir de munitions dans les endroits où il faudrait séjourner ; c’était aussi pour mieux tenir les troupes dans l’ordre, et rendre le commandement plus facile, en donnant un chef à chacune de ces divisions. Ils se firent ensuite devancer en Italie et en Sicile par trois vaisseaux, les chargeant de s’informer des villes qui consentiraient à les recevoir, et de revenir à la rencontre de la flotte, donner ces lumières aux généraux avant leur arrivée.

XLIII. Ces dispositions terminées, les Athéniens quittèrent Corcyre, et firent voile pour la Sicile avec toutes les trirèmes, au nombre de cent trente-quatre, et deux pentécontores de Rhodes. L’Attique avait fourni cent de ces vaissaux, dont soixante étaient des batimens légers, les autres portaient des gens de guerre. Chio et les autres alliés avaient fourni le reste de la flotte. Les hoplites étaient en tout au nombre de cinq mille cent hommes, dont quinze cents Athéniens por-