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de la nuit pour prendre un campement, les Ornéates s’évadèrent. Le lendemain, les Argiens s’apercevant de leur évasion, rasèrent la place, et firent leur retraite : les Athéniens ne tardèrent pas non plus à retourner chez eux par mer.

Ce fut aussi par mer qu’ils portèrent de la cavalerie à Méthone, sur les confins de la Macédoine. Ils joignirent à ces troupes les exilés macédoniens qui avaient cherché un asile à Athènes, et infestèrent le domaine de Perdiccas. Les Lacédémoniens firent inviter les Chalcidiens de Thrace, qui avaient une trêve de dix jours avec les Athéniens, à unir leurs armes à celles de Perdiccas ; mais ceux-ci refusèrent d’y consentir. Ainsi finit la seizième année de cette guerre dont Thucydide a écrit l’histoire.

VIII. L’été suivant, au commencement du printemps[1], les députés d’Athènes revinrent de Sicile, et avec eux ceux d’Égeste. Ils apportaient soixante talens d’argent non monnayé ; c’était pour soudoyer pendant un mois soixante vaisseaux qu’ils devaient prier les Athéniens de leur envoyer. Ceux-ci convoquèrent une assemblée ; ils écoutèrent toutes les choses attrayantes que leur voulurent dire les Égestains et leurs propres députés, tous les mensonges qu’ils voulurent faire, et comment il y avait de grands trésors tout prêts dans les temples et dans la caisse publique. Le résultat fut de décréter qu’il serait envoyé en Sicile soixante vaisseaux, sous le commandement d’Alcibiade, fils de Clinias, de Nicias, fils de Nicératus, et de Lamachus, fils de Xénophane, tous trois revêtus d’une pleine autorité. Ils devaient secourir les habitans d’Égeste contre ceux de Sélinonte, rétablir les Léontins, si leurs autres opérations leur en laissaient le temps, et tout disposer en Sicile, de la manière qui leur semblerait la plus avantageuse à la république.

Une autre assemblée fut convoquée cinq jours après, pour entrer en discussion sur les moyens les plus prompts d’équiper la flotte, et sur tout ce qui pourrait être nécessaire aux généraux. Nicias, qui avait été nommé malgré lui au commandement, pensait que la république venait de prendre une résolution dangereuse, trop précipitée, et dont l’objet, celui d’acquérir la domination de toute la Sicile, était difficile à remplir. Il s’avança dans l’intention de changer les esprits ; et voici dans quel sens il s’exprima :

IX. « Cette assemblée a pour objet les préparatifs de votre expédition en Sicile. Mais il me semble à moi, qu’il faut examiner encore s’il est à propos d’y envoyer une flotte, et que nous ne devons pas, sur une si légère délibération pour un objet de la plus grande importance, entraînés par des étrangers, nous jeter dans une guerre qui ne nous regarde pas. Et cependant cette guerre me procure un honneur, et je crains moins que d’autres pour mes jours, non que je ne regarde cependant comme un bon citoyen celui qui prend des précautions pour sa vie et pour sa fortune ; car, pour son propre intérêt, il doit désirer la prospérité de sa patrie. Au reste, jamais jusqu’ici les honneurs répandus sur moi ne m’ont fait parler contre ma pensée : je ne le ferai pas non plus aujourd’hui ; et ce que je crois le plus utile à l’état, je vais le faire entendre. Je sais trop, d’après votre caractère, que tout ce que je vais dire sera bien faible, si je vous conseille de ménager les avantages dont vous jouissez, et de ne pas mettre ce que vous tenez au hasard, pour courir après les incertitudes de l’avenir : cependant je vais vous faire voir que votre précipitation est déplacée, et que vous poursuivez ce qu’il n’est pas aisé d’atteindre.

X. « Je déclare que vous laissez ici derrière vous une foule d’ennemis, et que vous embarquer, c’est vouloir en attirer encore de nouveaux. Vous regardez peut-être comme quelque chose de solide les trêves que vous avez conclues ; trêves de nom, et seulement respectées tant que vous ne ferez aucun mouvement : car c’est dans cet esprit que les ont rédigées quelques hommes de ce pays même et de l’autre parti ; mais s’il vous arrive d’avoir quelque désavantage considérable, nos ennemis se trouveront bientôt prêts à nous attaquer ; eux qui sont entrés en accord avec nous par la seule raison qu’ils étaient malheureux, et qui, dans une situation plus fâcheuse que la nôtre, n’ont déposé les armes que par nécessité. D’ailleurs, il est dans la trêve bien des articles contestés. Il est aussi des villes qui ne l’ont pas même acceptée, et ce ne sont pas les plus faibles. Les unes nous font ouvertement la guerre, et les autres sont

  1. Dix-septième année de la guerre du Péloponnèse, première année de la quatre-vingt-onzième olympiade, quatre cent seize ans avant notre ère. Aussitôt après le 10 avril.