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leurs bannis. Les Athéniens de Pylos firent un grand butin sur les Lacédémoniens. Ceux-ci, piqués de cette insulte, y répondirent par des hostilités, sans annuler cependant la trêve, et ils proclamèrent une invitation à piller les Athéniens. Les Corinthiens prirent aussi les armes contre Athènes pour quelques différends particuliers ; mais les autres peuples du Péloponnèse se tinrent en repos.

Les Méliens attaquèrent de nuit une partie du mur construit par les Athéniens : c’était celle qui regardait le marché. Ils tuèrent des hommes, emportèrent le plus qu’il leur fut possible de vivres et d’effets, et cessèrent d’agir. Les Athéniens firent dans la suite une meilleure garde, et l’été finit.

CXVI. L’hiver suivant[1], les Lacédémoniens allaient porter la guerre dans la campagne d’Argos ; mais comme les sacrifices qu’ils offrirent sur la frontière, pour cette expédition, ne leur donnèrent pas d’heureux présages, ils revinrent sur leurs pas. Pendant qu’ils différaient cette entreprise, ceux d’Argos regardèrent comme suspects quelques-uns de leurs concitoyens ; ils en arrêtèrent plusieurs ; d’autres prirent la fuite.

Vers le même temps les Méliens enlevèrent une autre partie du mur, qui n’avait que peu de gardes ; mais il vint ensuite d’Athènes une autre armée, commandée par Philocrate, fils de Déméas. La place fut alors vigoureusement assiégée ; il y survint une trahison, et les habitans se remirent à la discrétion des Athéniens. Ceux-ci donnèrent la mort à tous ceux qu’ils prirent en âge de porter les armes, et réduisirent en esclavage les femmes et les enfans. Eux-mêmes se mirent en possession de la ville, et y envoyèrent cinq cents hommes pour y former une colonie.


LIVRE SIXIÈME.


I. Dans ce même hiver[2], les Athéniens résolurent de passer une seconde fois en Sicile. Ils voulaient rendre leur appareil plus imposant que dans l’expédition commandée par Eurymédon et Lachès, et se la soumettre, s’il était possible. La plupart, dans leur ignorance sur l’étendue de cette île, et sur la population des Grecs et des Barbares qui l’habitent, ne savaient pas que c’était entreprendre une guerre à peu près aussi importante que celle du Péloponnèse. La navigation autour de la Sicile n’est de guère moins de huit journées pour un vaisseau marchand ; un espace de mer de vingt stades au plus[3] empêche cette île si vaste de faire partie du continent.

II. Voyons comment elle fut anciennement peuplée, et quelles furent les diverses nations qu’elle reçut. Les Cyclopes et les Lestrigons passent pour avoir été les plus anciens habitans d’une portion de cette contrée. Je ne puis dire ni quelle était leur origine, ni d’où ils venaient, ni où ils se sont retirés. Contentons-nous de ce qu’en ont dit les poètes et de ce que tout le monde en sait.

Après eux, les Sicaniens paraissent y avoir fait les premiers des établissemens, et même, à les en croire, ils sont plus anciens, puisqu’ils se disent autochtones[4] ; mais on découvre que c’était en effet des Ibères, qui furent chassés par les Lygiens des bords du fleuve Sicanus, dans l’Ibérie. De leur nom, cette île reçut alors celui de Sicanie : elle s’appelait auparavant Trinacrie. Ils occupent encore aujourd’hui les parties occidentales de la Sicile.

Après la prise d'Ilion, des Troyens, qui fuyaient les Grecs, y abordèrent ; ils se logèrent sur les frontières des Sicaniens et prirent le nom d’Elymes : leurs villes sont Éryx et Égeste. Il se joignit à leur population quelques Phocéens qui, au retour de Troie, furent poussés par la tempête dans la Libye, et de là passèrent en Sicile.

  1. Seizième année de la guerre du Péloponnèse, première année de la quatre-vingt-onzième olympiade, quatre cent seize ans avant l’ère vulgaire. Après le 15 octobre.
  2. Ibid.
  3. A peu près trois quarts de nos lieues.
  4. On appelait autochtones les peuples qu’on regardait comme originaires du pays qu’ils habitaient.