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sins. Il n’est donc pas vraisemblable qu’ils passent dans une île, lorsque nous avons l’empire de la mer. »

CX. Les Méliens. « Ils en pourront envoyer d’autres. La mer de Crète est vaste : il est plus difficile à ceux qui s’en disent les maîtres d’y intercepter leurs ennemis, qu’à ceux-ci de les éviter et de se soustraire à leurs recherches. Si cependant cette mesure ne leur réussissait pas, ils se tourneraient contre votre territoire, et contre ceux de vos alliés que n’a pas attaqués Brasidas. Dès lors, ce ne sera plus pour un pays qui ne vous touche en rien, que vous aurez à soutenir les travaux de la guerre, mais pour le vôtre et celui de vos alliés. »

CXI. Les Athéniens. « Vous n’ignorez pas, et vous connaîtrez par expérience, que jamais la crainte d’autrui n’a fait retirer les Athéniens de devant une place assiégée. Mais nous étions convenus de délibérer sur votre salut, et nous nous apercevons que, dans tout le cours d’une si longue conférence, vous n’avez rien dit qui puisse inspirer à un peuple de la confiance, et l’assurer de sa conservation. Vos plus fermes appuis sont éloignés ; ils n’existent qu’en espérance, et vos avantages actuels sont bien faibles pour l’emporter sur les forces déjà rangées contre vous. Ce sera de votre part une grande imprudence, si, quand nous serons retirés, vous ne prenez pas de plus sages résolutions. N’écoutez pas un faux point d’honneur ; il perd souvent les hommes au milieu de périls manifestes, qu’ils doivent rougir de n’avoir pas évités. On en a vu beaucoup qui, tout en prévoyant à quelles extrémités ils couraient, mais attirés par ce qu’ils appelaient honneur, et subjugués par ce mot, se sont précipités de gaîté de cœur dans des maux sans remède ; la honte dont ils se sont rouverts, ouvrage de leur folie, et non de la fortune, en est plus ignominieuse. C’est ce que vous éviterez, si vous prenez de sages conseils. Vous ne regarderez pas comme une honte de céder à une grande puissance qui vous offre des conditions modérées, qui vous recevra dans son alliance, et vous laissera maîtres de votre pays à la charge d’un tribut. Vous avez le choix de la guerre ou de votre sûreté : ne prenez pas, par esprit de chicane, le plus mauvais parti. Ce qui assure le mieux la fortune d’un peuple, c’est de ne pas céder à ses égaux, de se bien conduire avec ses supérieures, de montrer aux faibles de la modération. Nous allons nous retirer. Pensez et considérez plus d’une fois que vous consultez sur votre patrie, et qu’il est en votre pouvoir, par une seule délibération, et dans une seule assemblée, de la sauver ou de la précipiter vers sa ruine. »

CXII. Les Athéniens quittèrent la conférence. Les Méliens restés seuls, s’en tinrent à peu près à leur premier avis ; et après quelques discussions, ils firent aux députés cette réponse : « Nous persistons dans les mêmes sentimens que nous vous avons fait connaître, et nous ne priverons pas en un instant de la liberté une ville fondée depuis sept cents ans. Pleins de confiance en la fortune, qui, par le bienfait des dieux, l’a conservée jusqu’à présent, et dans le secours des hommes, et en particulier des Lacédémoniens, nous essaierons de nous sauver. Nous vous invitons cependant à consentir que nous soyons vos amis, sans être les ennemis de personne ; nous vous prions de vous retirer, en nous accordant un traité de paix, qui ne nous semble pas moins utile pour vous que pour nous-même. »

CXIII. Telle fut la réponse des Méliens. Les Athéniens rompirent le congrès en disant : « D’après votre résolution, vous nous semblez seuls entre tous les hommes, regarder l’avenir comme plus assuré que ce qui est sous vos yeux. L’envie de voir s’effectuer des choses incertaines vous fait croire qu’elles existent déjà ; mais en vous abandonnant, avec une confiance aveugle, aux Lacédémoniens, à la fortune et à vos espérances, vous courez à votre perte. »

CXIV. Les députés d’Athènes regagnèrent leur camp. Les généraux, apprenant qu’on n’avait pu rien faire entendre aux Méliens, se décidèrent à employer la force des armes. Ils entourèrent Mélos d’un mur de circonvallation, partagèrent ce travail entre les troupes des différentes villes ; y laissèrent, par terre et par mer, une garde composée d’Athéniens et d’alliés, et remmenèrent la plus grande partie de leurs troupes. Celles qui restèrent tinrent la place investie.

CXV. Vers le même temps, les Argiens se jetèrent sur le territoire de Phlionte. Il en périt aux environs de quatre-vingts dans une embuscade que leur dressèrent les Phliasiens et