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mais il les supplia de ne pas exercer contre lui de telles rigueurs, promettant d’effacer par ses exploits, dans la première campagne, la faute dont il était accusé, et les laissant maîtres, s’il y manquait, de faire ce qu’ils jugeraient à propos. Ils se désistèrent de le mettre à l’amende et de raser sa maison ; mais ils portèrent, dans cette circonstance, une loi qui n’avait jamais existé chez eux : c’était que dix Spartiates seraient élus pour lui servir de conseil, et qu’il ne pourrait, sans leur aveu, faire sortir l’armée de la ville.

LXIV. Cependant des citoyens de Tégée, attachés au parti des Lacédémoniens, vinrent leur annoncer que s’ils ne se présentaient pas au plus tôt, cette ville allait renoncer à leur alliance pour celle des Argiens, et que c’était, en quelque sorte, une chose déjà faite. Aussitôt, Lacédémoniens et hilotes volent en masse au secours, avec une précipitation pour eux sans exemple. Ils se mirent en route pour Orestium dans la Mænalie, et firent dire aux Arcadiens qui étaient dans leur alliance de se rassembler et de marcher sur leurs pas à Tégée. Eux-mêmes, parvenus tous à Orestium, en renvoyèrent, pour garder la ville, le sixième de leur monde, où était compris ce qui était trop vieux ou trop jeune. Ils arrivèrent à Tégée avec le reste des troupes. Peu après vinrent les alliés d’Arcadie. Ils envoyèrent aussi à Corinthe, et chez les Bœotiens, les Phocéens et les Locriens, un ordre de se trouver au plus tôt à Mantinée, pour leur prêter des secours. Cet ordre était bien subit, car il n’était pas aisé, sans se réunir et s’attendre les uns les autres, de traverser le pays ennemi. Cependant on fit diligence. Quant aux Lacédémonicns, ils prirent avec eux ce qui se trouvait de troupes d’Arcadie, se jetèrent dans la campagne de Mantinée, campèrent près du temple d’Hercule et ravagèrent le pays.

LXV. Les Argiens et leurs alliés ne les eurent pas plus tôt aperçus, qu’ils s’emparèrent d’un poste fortifié par la nature et d’un accès difficile, et se mirent en ordre de bataille. Aussitôt les Lacédémoniens s’avancèrent contre eux ; ils en étaient venus à la portée d’une pierre ou d’un javelot, quand un vieillard, apercevant la force du poste vers lequel on marchait, cria à Agis qu’il voulait guérir un mal par un autre ; faisant entendre que, par une ardeur inconsidérée, ce prince voulait cicatriser sa retraite d’Argos, dont on lui avait fait un crime. Soit qu’Agis fût frappé de ce reproche, soit que quelque autre raison le fit changer subitement d’avis, il retira tout à coup ses troupes avant qu’elles en fussent venues aux mains. Il entra dans la campagne de Tégée, et détourna du côté de Mantinée des eaux qui sont une occasion de guerre entre les Mantinéens et les Tégéates, parce que, de quelque côté qu’elles se portent, elles y font beaucoup de mal. Il voulait que les Argiens et les alliés, dès qu’ils s’apercevraient de son dessein, descendissent de la colline pour l’empêcher de détourner l’eau, et que la bataille se donnât dans la plaine. Il passa cette journée à faire changer l’eau de cours. Les Argiens et les alliés, d’abord étonnés de la retraite subite des Lacédémoniens, ne savaient que conjecturer. Quand ceux-ci se furent ensuite dérobés à leurs yeux, et qu’eux-mêmes se virent laissés dans l’inaction, sans recevoir l’ordre de les suivre, ils accusèrent encore une fois leurs généraux, qui d’abord avaient laissé échapper les Lacédémoniens lorsqu’on les tenait auprès d’Argos, et qui, maintenant qu’on voyait fuir ces ennemis, n’ordonnaient à personne de se mettre à leur poursuite, leur permettaient de se sauver tranquillement et trahissaient leurs soldats. Les généraux furent d’abord troublés ; ils firent ensuite descendre l’armée de la colline, s’avancèrent dans la plaine, et y campèrent pour marcher contre les ennemis.

LXVI. Le lendemain, les Argiens et les alliés se mirent dans l’ordre où ils devaient combattre si l’occasion s’en présentait. Les Lacédémoniens quittaient le bord des eaux pour retourner à leur camp, près du temple d’Hercule, quand ils virent de près les ennemis, déjà tous en bon ordre, et qui les avaient devancés après avoir abandonné la colline. Ils ne se ressouvenaient pas d’avoir jamais été frappés d’une telle frayeur. En effet, ils n’avaient que bien peu de temps pour se préparer au combat, et ce fut avec la plus grande précipitation qu’ils prirent leurs rangs. Agis donnait tous les ordres conformément à la loi ; car lorsque le roi conduit l’armée, tout est soumis à son commandement. Il donne lui-même ses ordres aux polémaques ; ceux-ci aux commandans des cohortes ; ces commandans aux chefs des pentécostys, qui les donnent aux