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donc à l’attaque de cette place, pour obliger les habitans à fournir la victime.

LIV. Vers la même époque, les Lacédémoniens, avec toutes leurs forces, portèrent la guerre contre Lycéum, dans les campagnes de Leuctres, sur leurs frontières. C’était le roi Agis, fils d’Archidamus, qui les commandait. Tout le monde ignorait où il allait porter la guerre, même les villes qui fournissaient des troupes ; mais comme les sacrifices qu’ils offrirent pour cette expédition ne donnèrent pas d’heureux présages, eux-mêmes se retirèrent chez eux, et firent annoncer à leurs alliés de se tenir prêts à entrer en campagne le mois suivant : on était dans le mois carnien[1], qui est pour les Doriens un temps de fête. Ils étaient de retour, quand les Argiens, quatre jours avant la fin de ce mois, partirent, quoique ce fût un jour de fête pour eux ; ils employèrent à leur incursion dans l’Épidaurie tout ce temps consacré à la religion, et ravagèrent la campagne. Les Épidauriens implorèrent le secours de leurs alliés ; mais les uns s’excusèrent sur le mois où l’on était, et les autres s’avancèrent jusqu’à la frontière et se tinrent en repos.

LV. Pendant que les Argiens étaient à Épidaure, les députés des villes se rassemblèrent à Mantinée, sur l’invitation des Athéniens. On était en conférences, quand Euphamidas de Corinthe observa que les faits s’accordaient mal avec les discours ; que pendant qu’ils étaient ensemble, tranquillement assis, à traiter de la paix, les Epidauriens, leurs alliés, et les Argiens étaient rangés en armes les uns contre les autres ; qu’il fallait d’abord que ceux qui tenaient à l’un ou à l’autre parti allassent séparer ces armées, et qu’on se remettrait ensuite à parler d’un accord. On le crut, on partit, et l’on ramena de l’Épidaurie les Argiens. Le congrès fut repris, mais on ne put s’accorder, et les Argiens se jetèrent encore une fois sur le territoire d’Épidaure qu’ils ravagèrent.

Les Lacédémoniens voulurent aussi faire une excursion à Caryès[2] ; mais comme ils ne purent encore obtenir de présages favorables, ils revinrent sur leurs pas. Les Argiens retournèrent chez eux, après avoir dévasté le tiers de l’Épidaurie. Mille hoplites d’Athènes, sous le commandement d’Alcibiade, avaient marché au secours de Caryès. Ils apprirent que les Lacédémoniens avaient renoncé à leur expédition[3], et comme on n’avait plus besoin d’eux, ils se retirèrent. Ce fut ainsi que se termina l’été.

LVI. L’hiver suivant[4], les Lacédémoniens, à l’insu d’Athènes, envoyèrent par mer à Épidaure une garnison de trois cents hommes, sous le commandement d’Agésippidas. Les Argiens vinrent se plaindre à Athènes de ce qu’on avait laissé passer par mer les Lacédémoniens, quoiqu’il fût stipulé dans le traité qu’aucune des puissances contractantes ne laisserait passer d’ennemis par son territoire ; ils ajoutèrent que si l’on ne renvoyait pas à Pylos les Messéniens et les hilotes contre les Lacédémoniens, Argos aurait droit de se croire offensée. Les Athéniens, à l’instigation d’Alcibiade, écrivirent au bas de la colonne où était inscrit le traité de Lacédémone, que les Lacédémoniens n’avaient pas respecté leurs sermens ; ils transportèrent de Cranies à Pylos les hilotes pour exercer le brigandage, et d’ailleurs ils se tinrent eu repos.

Quoique la guerre continuât cet hiver entre les Argiens et les Épidauriens, il n’y eut point de bataille rangée, mais seulement des embûches dressées et des incursions, dans lesquelles périrent quelques hommes de part et d’autre, suivant que le voulut le sort des armes. À la fin de la saison, vers le printemps, les Argiens s’approchèrent d’Épidaure avec des échelles : ils croyaient la place vide à cause de la guerre, et comptaient la prendre d’emblée ; mais ils se retirèrent sans succès. L’hiver finit, et la treizième année de la guerre.

LVII. Au milieu de l’été suivant[5], les Lacédémoniens voyant que leurs alliés d’Épidaure étaient dans un état de souffrance, qu’eux-mêmes éprouvaient la défection d’une partie du Péloponnèse, et que, dans l’autre, leurs affaires allaient fort mal, crurent que les choses ne fe-

  1. Dans le mois carnien. Il y avait dans ce mois, dit le scoliasle, beaucoup de jours sacrés, ou plutôt tous l’étaient. Le mot Carneus, Karneios, était un surnom d’Apollon. Dodwel rapporte cette époque au 14 juillet.
  2. Fin d’août ou commencement de septembre.
  3. Un peu avant le 17 octobre.
  4. Après le 18 octobre.
  5. Quatorzième année de la guerre du Péloponnèse, seconde année de la quatre-vingt-dixième olympiade, quatre cent dix-neuf ans avant l’ère vulgaire. Entre le 12 juin et le 11 juillet.